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Que ce style jamais ne souille votre ouvrage.
Imitons de Marot l’élégant badinage,
Et laissons le burlesque aux plaisans du Pont-Neuf.
EtMais n’allez point aussi, sur les pas de Brébeuf,
Même en une Pharsale, entasser sur les rives
« De morts et de mourans cent montagnes plaintives[1]. »
Prenez mieux votre ton. Soyez simple avec art,
Sublime sans orgueil, agréable sans fard.
SuN’offrez rien au lecteur que ce qui peut lui plaire.
Ayez pour la cadence une oreille sévère :
Que toujours dans vos vers le sens coupant les mots,
Suspende l’hémistiche, en marque le repos.
Gardez qu’une voyelle à courir trop hâtée
Ne soit d’une voyelle en son chemin heurtée.
Il est un heureux choix de mots harmonieux,
Fuyez des mauvais sons le concours odieux :
Le vers le mieux rempli, la plus noble pensée
Ne peut plaire à l’esprit, quand l’oreille est blessée.
NeDurant les premiers ans du Parnasse françois,
Le caprice tout seul faisoit toutes les lois[2].
La rime, au bout des mots assemblés sans mesure,
Tenoit lieu d’ornemens, de nombre et de césure.
Villon sut le premier, dans ces siècles grossiers,
Débrouiller l’art confus de nos vieux romanciers.
Marot bientôt après fit fleurir les ballades ;
Tourna des triolets, rima des mascarades,
À des refrains réglés asservit les rondeaux,
Et montra pour rimer des chemins tout nouveaux.
Ronsard, qui le suivit, par une autre méthode,

  1. Brébeuf est l’auteur d’une traduction de la Pharsale de Lucain, écrite dans un style ampoulé ; le vers qu’il cite est emprunté à cet ouvrage.
  2. Au temps de Boileau on prononçait françois comme lois, et le vers rimait ainsi aussi bien à l’oreille qu’aux yeux.