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BOILEAU.

L’autre a peur de ramper, il se perd dans la nue.
L'Voulez-vous du public mériter les amours ?
Sans cesse en écrivant variez vos discours.
Un style trop égal et toujours uniforme
En vain brille à nos yeux, il faut qu’il nous endorme.
On lit peu ces auteurs, nés pour nous ennuyer,
Qui toujours sur un ton semblent psalmodier.
QuHeureux qui, dans ses vers, sait d’une voix légère
Passer du grave au doux, du plaisant au sévère !
Son livre, aimé du ciel, et chéri des lecteurs,
Est souvent chez Barbin entouré d’acheteurs.
EsQuoi que vous écriviez, évitez la bassesse :
Le style le moins noble a pourtant sa noblesse.
Au mépris du bon sens, le burlesque effronté[1]
Trompa les yeux d’abord, plut par sa nouveauté.
On ne vit plus en vers que pointes triviales ;
Le Parnasse parla le langage des halles ;
La licence à rimer alors n’eut plus de frein ;
Apollon travesti devint un Tabarin[2].
Cette contagion infecta les provinces,
Du clerc et du bourgeois passa jusques aux princes.
Le plus mauvais plaisant eut ses approbateurs ;
Et, jusqu’à d’Assouci, tout trouva des lecteurs.
Mais de ce style enfin la cour désabusée
Dédaigna de ces vers l’extravagance aisée,
Distingua le naïf du plat et du bouffon,
Et laissa la province admirer le Typhon[3].

  1. Boileau, malgré la faveur dont il jouissait auprès de Louis XIV et de Mme de Maintenon, ne pouvait pardonner à Scarron d’avoir mis en vogue le genre burlesque et bouffon, dans son Virgile travesti, genre qu’il considérait comme un attentat littéraire.
  2. Tabarin, valet d’un charlatan nommé Mondor, composa des quolibets et des farces qu’il débitait sur le Pont-Neuf pour vendre ses orviétans.
  3. Le Typhon est le début de Scarron dans le genre burlesque.