Sait entre les auteurs partager les talens :
L’un peut tracer en vers une amoureuse flamme ;
L’autre d’un trait plaisant aiguiser l’épigramme :
Malherbe d’un héros peut vanter les exploits ;
Racan chanter Philis, les bergers et les bois :
Mais souvent un esprit qui se flatte et qui s’aime
Méconnoît son génie, et s’ignore soi-même :
Ainsi tel, autrefois qu’on vit avec Faret[1]
Charbonner de ses vers les murs d’un cabaret,
S’en va, mal à propos, d’une voix insolente,
Chanter du peuple hébreu la fuite triomphante,
Et, poursuivant Moïse au travers des déserts,
Court avec Pharaon se noyer dans les mers[2].
Quelque sujet qu’on traite, ou plaisant, ou sublime,
Que toujours le bon sens s’accorde avec la rime :
L’un l’autre vainement ils semblent se haïr ;
La rime est une esclave, et ne doit qu’obéir.
Lorsqu’à la bien chercher d’abord on s’évertue,
L’esprit à la trouver aisément s’habitue ;
Au joug de la raison sans peine elle fléchit,
Et, loin de la gêner, la sert et l’enrichit.
Mais lorsqu’on la néglige, elle devient rebelle ;
Et pour la rattraper le sens court après elle.
Aimez donc la raison : que toujours vos écrits
Empruntent d’elle seule et leur lustre et leur prix[3].
- ↑ Faret, auteur d’un livre intitulé L’honnête homme, n’était pas un habitué de cabaret. Son nom qui rime si facilement avec cabaret lui a valu bien à tort ce fâcheux renom. Secrétaire du comte d’Harcourt, il fut recherché par Richelieu, et l’un des fondateurs de l’Académie française.
- ↑ Saint-Amand, dont il est ici question, s’était fait remarquer par quelques vers pleins de verve. Mais quand il voulut aborder le genre épique et composer son Moïse sauvé, il échoua complètement.
- ↑ Il était important de bien rimer des conseils sur la rime, et ces vers peuvent être considérés comme un modèle.