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BOILEAU.

Courtisans, magistrats : chez eux, si je les croi,
L’intérêt ne peut rien, l’honneur seul fait la loi.
L’Cependant, lorsqu’aux yeux leur portant la lanterne[1],
J’examine au grand jour l’esprit qui les gouverne,
Je n’aperçois partout que folle ambition,
Foiblesse, iniquité, fourbe, corruption,
Que ridicule orgueil de soi-même idolâtre.
Le monde, à mon avis, est comme un grand théâtre,
Où chacun en public, l’un par l’autre abusé,
Souvent à ce qu’il est joue un rôle opposé.
Tous les jours on y voit, orné d’un faux visage
Impudemment le fou représenter le sage ;
L’ignorant s’ériger en savant fastueux,
Et le plus vil faquin trancher du vertueux.
Mais, quelque fol espoir dont leur orgueil les berce,
Bientôt on les connoît, et la vérité perce.
On a beau se farder aux yeux de l’univers :
À la fin sur quelqu’un de nos vices couverts
Le public malin jette un œil inévitable ;
Et bientôt la censure, au regard formidable,
Sait, le crayon en main, marquer nos endroits faux,
Et nous développer avec tous nos défauts.
Du mensonge toujours le vrai demeure maître.
Pour paroître honnête homme, en un mot, il faut l’être ;
Et jamais, quoi qu’il fasse, un mortel ici-bas
Ne peut aux yeux du monde être ce qu’il n’est pas.
En vain ce misanthrope, aux yeux tristes et sombres,
Veut, par un air riant, en éclaircir les ombres :
Le ris sur son visage est en mauvaise humeur ;
L’agrément fuit ses traits, ses caresses font peur ;
Ses mots les plus flatteurs paroissent des rudesses,

  1. Allusion au mot de Diogène le Cynique, qui portait une lanterne en plein jour, et qui disait qu’il cherchait un homme.