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SATIRE VIII.

Lui venir, comme au dieu des saisons et des vents,
Demander à genoux la pluie et le beau temps ?
Non, mais cent fois la bête a vu l’homme hypocondre
Adorer le métal que lui-même il fit fondre :
A vu dans un pays les timides mortels
Trembler aux pieds d’un singe assis sur leurs autels ;
Et sur les bords du Nil les peuples imbéciles,
L’encensoir à la main, chercher des crocodiles.
L’Mais pourquoi, diras-tu, cet exemple odieux ?
Que peut servir ici l’Égypte et ses faux dieux ?
Quoi ! me prouverez-vous par ce discours profane
Que l’homme, qu’un docteur, est au-dessous d’un âne !
Un âne, le jouet de tous les animaux.
Un stupide animal, sujet à mille maux ;
Dont le nom seul en soi comprend une satire !
Oui, d’un âne : et qu’a-t-il qui nous excite à rire ?
Nous nous moquons de lui : mais s’il pouvoit un jour,
Docteur, sur nos défauts s’exprimer à son tour ;
Si, pour nous réformer, le ciel prudent et sage
De la parole enfin lui permettoit l’usage ;
Qu’il pût dire tout haut ce qu’il se dit tout bas :
Ah ! docteur, entre nous, que ne diroit-il pas ?
Et que peut-il penser lorsque dans une rue,
Au milieu de Paris, il promène sa vue ;
Qu’il voit de toutes parts les hommes bigarrés.
Les uns gris, les uns noirs, les autres chamarrés ?
Que dit-il quand il voit, avec la mort en trousse,
Courir chez un malade un assassin en housse ;
Qu’il trouve de pédans un escadron fourré,
Suivi par un recteur de bedeaux entouré.
Ou qu’il voit la Justice, en grosse compagnie,
Mener tuer un homme avec cérémonie[1] ?

  1. Timide protestation contre la peine de mort, qui depuis est devenue,