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BOILEAU.

Un tigre en factions partager l’Hyrcanie ?
L’ours a-t-il dans les bois la guerre avec les ours ?
Le vautour dans les airs fond-il sur les vautours ?
A-t-on vu quelquefois dans les plaines d’Afrique,
Déchirant à l’envi leur propre république,
Lions contre lions, parens contre parens,
Combattre follement pour le choix des tyrans ?
L’animal le plus fier qu’enfante la nature
Dans un autre animal respecte sa figure,
De sa rage avec lui modère les accès,
Vit sans bruit, sans débats, sans noise, sans procès.
Un aigle, sur un champ prétendant droit d’aubaine,
Ne fait point appeler un aigle à la huitaine ;
Jamais contre un renard chicanant un poulet
Un renard de son sac n’alla charger Rolet[1] ;
Jamais la biche en rut n’a, pour fait d’impuissance,
Traîné du fond des bois un cerf à l’audience ;
Et jamais juge, entre eux ordonnant le congrès,
De ce burlesque mot n’a sali ses arrêts[2].
On ne connoît chez eux ni placets ni requêtes,
Ni haut ni bas conseil, ni chambre des enquêtes.
Chacun l’un avec l’autre en toute sûreté
Vit sous les pures lois de la simple équité.
L’homme seul, l’homme seul, en sa fureur extrême,
Met un brutal honneur à s’égorger soi-même.
C’étoit peu que sa main, conduite par l’enfer,
Eût pétri le salpêtre, eut aiguisé le fer :
Il falloit que sa rage, à l’univers funeste,
Allât encor de lois embrouiller le Digeste :
Cherchât pour l’obscurcir des gloses, des docteurs,

  1. Le procureur déjà nommé dans la satire.
  2. Cet usage fut aboli sur le plaidoyer de M. le président de Lamoignon, alors avocat général. (B.) — On prétend que ces deux vers ont contribué à L’abolition de l’épreuve du congrès.