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BOILEAU.

On diroit que le ciel, qui se fond tout en eau,
Veuille inonder ces lieux d’un déluge nouveau,
Pour traverser la rue, au milieu de l’orage,
Un ais sur deux pavés forme un étroit passage ;
Le plus hardi laquais n’y marche qu’en tremblant :
Il faut pourtant passer sur ce pont chancelant ;
Et les nombreux torrens qui tombent des gouttières.
Grossissant les ruisseaux, en ont fait des rivières.
J’y passe en trébuchant ; mais, malgré l’embarras,
La frayeur de la nuit précipite mes pas.
LaCar, sitôt que du soir les ombres pacifiques
D’un double cadenas font fermer les boutiques ;
Que, retiré chez lui, le paisible marchand
Va revoir ses billets et compter son argent ;
Que dans le Marché-Neuf[1] tout est calme et tranquille
Les voleurs à l’instant s’emparent de la ville.
Le bois le plus funeste et le moins fréquenté
Est, au prix de Paris, un lieu de sûreté[2].
Malheur donc à celui qu’une affaire imprévue
Engage un peu trop tard au détour d’une rue ?
Bientôt quatre bandits lui serrant les côtés,
La bourse !… Il faut se rendre ; ou bien non, résistez,
Afin que votre mort, de tragique mémoire,
Des massacres fameux aille grossir l’histoire[3].
Pour moi, fermant ma porte, et cédant au sommeil,

  1. Situé entre le pont Saint-Michel et le petit Hôtel-Dieu.
  2. Ce vers prouve que sous Louis XIV la police n’était pas parfaite. En effet, par une espèce de pacte tacite on abandonnait à une heure fixe la ville aux voleurs, qui de leur côté devaient respecter la bourse et le bien d’autrui pendant le jour. — Peu de temps après l’apparition de cette satire, le guet fut doublé, et des lanternes fixées de distance en distance permirent aux Parisiens de circuler enfin pendant la nuit.
  3. On faisait paraître alors une histoire intitulée : Histoire des Larrons.