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SATIRE VI.

En font pleuvoir l’ardoise et la tuile à foison.
Là sur une charrette une poutre branlante
Vient menaçant de loin la foule qu’elle augmente ;
Six chevaux attelés à ce fardeau pesant
Ont peine à l’émouvoir sur le pavé glissant.
D’un carrosse en tournant il accroche une roue.
Et du choc le renverse en un grand tas de boue :
Quand un autre à l’instant s’efforçant de passer
Dans le même embarras se vient embarrasser.
Vingt carrosses bientôt arrivant à la file
Y sont en moins de rien suivis de plus de mille ;
Et, pour surcroît de maux, un sort malencontreux
Conduit en cet endroit un grand troupeau de bœufs ;
Chacun prétend passer ; l’un mugit, l’autre jure ;
Des mulets en sonnant augmentent le murmure.
Aussitôt cent chevaux dans la foule appelés
De l’embarras qui croît ferment les défilés,
Et partout, des passans enchaînant les brigades,
Au milieu de la paix font voir les barricades[1].
On n’entend que des cris poussés confusément :
Dieu pour s’y faire ouïr tonnerait vainement.
Moi donc, qui dois souvent en certain lieu me rendre,
Le jour déjà baissant, et qui suis las d’attendre,
Ne sachant plus tantôt à quel saint me vouer,
Je me mets au hasard de me faire rouer.
Je saute vingt ruisseaux, j’esquive, je me pousse ;
Guenaud sur son cheval en passant m’éclabousse :
Et, n’osant plus paroître en l’état où je suis,
Sans songer où je vais, je me sauve ou je puis.
SaTandis que dans un coin en grondant je m’essuie,
Souvent, pour m’achever, il survient une pluie :

  1. Allusion aux barricades dont Paris s’est vu couvert au commencement de la Fronde sous la minorité de Louis IV.