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BOILEAU.

Plus importuns pour moi, durant la nuit obscure,
Que jamais, en plein jour, ne fut l’abbé de Pure.
QuTout conspire à la fois à troubler mon repos,
Et je me plains ici du moindre de mes maux :
Car à peine les coqs, commençant leur ramage,
Auront de cris aigus frappé le voisinage,
Qu’un affreux serrurier, laborieux Vulcain,
Qu’éveillera bientôt l’ardente soif du gain,
Avec un fer maudit, qu’à grand bruit il apprête,
De cent coups de marteau me va fendre la tête.
J’entends déjà partout les charrettes courir,
Les maçons travailler, les boutiques s’ouvrir :
Tandis que dans les airs mille cloches émues
D’un funèbre concert font retentir les nues ;
Et, se mêlant au bruit de la grêle et des vents,
Pour honorer les morts font mourir les vivans.
PoEncor je bénirois la bonté souveraine,
Si le ciel à ces maux avoit borné ma peine ;
Mais si seul en mon lit je peste avec raison,
C’est encor pis vingt fois en quittant la maison ;
En quelque endroit que j’aille, il faut fendre la presse
D’un peuple d’importuns qui fourmillent sans cesse.
L’un me heurte d’un ais dont je suis tout froissé ;
Je vois d’un autre coup mon chapeau renversé.
Là d’un enterrement la funèbre ordonnance
D’un pas lugubre et lent vers l’église s’avance ;
Et plus loin des laquais l’un l’autre s’agaçans,
Font aboyer les chiens et jurer les passans.
Des paveurs en ce lieu me bouchent le passage.
Là, je trouve une croix de funeste présage[1] ;
Et des couvreurs grimpés au toit d’une maison

  1. On faisait descendre alors du toit des maisons en réparation une croix de lattes pour avertir les passants de s’éloigner ; c’est encore à peu près la même chose aujourd’hui.