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BOILEAU

 
Se pare insolemment du mérite d’autrui,
Et me vante un honneur qui ne vient pas de lui.
Je veux que la valeur de ses aïeux antiques
Ait fourni de matière aux plus vieilles chroniques,
Et que l’un des Capets, pour honorer leur nom,
Ait de trois fleurs de lis doté leur écusson :
Que sert ce vain amas d’une inutile gloire,
Si, de tant de héros célèbres dans l’histoire,
Il ne peut rien offrir aux jeux de l’univers
Que de vieux parchemins qu’ont épargnés les vers ;
Si, tout sorti qu’il est d’une source divine,
Son cœur dément en lui sa superbe origine,
Et, n’ayant rien de grand qu’une sotte fierté,
S’endort dans une lâche et molle oisiveté ?
Cependant, à le voir avec tant d’arrogance
Vanter le faux éclat de sa haute naissance,
On diroit que le ciel est soumis à sa loi,
Et que Dieu l’a pétri d’autre limon que moi.
Enivré de lui-même, il croit, dans sa folie,
Qu’il faut que devant lui d’abord tout s’humilie.
Aujourd’hui toutefois, sans trop le manager,
Sur ce ton un peu haut je vais l’interroger :
SuDites-moi, grand héros, esprit rare et sublime,
Entre tant d’animaux, qui sont ceux qu’on estime ?
On fait cas d’un coursier qui, fier et plein de cœur,
Fait paroître en courant sa bouillante vigueur ;
Qui jamais ne se lasse, et qui dans la carrière
S’est couvert mille fois d’une noble poussière.
Mais la postérité d’Alfane[1] et de Bayard[2],
Quand ce n’est qu’une rosse, est vendue au hasard,

  1. Alfane était le cheval du roi africain Gradasse, un des héros de l’Arioste.
  2. Bayard est le cheval de Renaud de Montauban, un des quatre