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Que ce nouveau Titan n’escalade les cieux.
QuMais laissons-le plutôt en proie à son caprice,
Sa folie, aussi bien, lui tient lieu de supplice,
Il est d’autres erreurs dont l’aimable poison
D’un charme bien plus doux enivre la raison,
L’esprit dans ce nectar heureusement s’oublie.
L’Chapelain[1] veut rimer, et c’est là sa folie,
Mais bien que ses durs vers, d’épithètes enflés,
Soient des moindres grimauds chez Ménage[2] sifflés,
Lui-même il s’applaudit, et, d’un esprit tranquille,
Prend le pas au Parnasse au-dessus de Virgile.
Que feroit-il, hélas ! si quelque audacieux
Alloit pour son malheur lui dessiller les yeux,
Lui faisant voir ses vers et sans force et sans grâces,
Montés sur deux grands mots, comme sur deux échasses ;
Ses termes sans raison l’un de l’autre écartés,
Et ses froids ornemens à la ligne plantés ?
Qu’il maudiroit le jour où son âme insensée
Perdit l’heureuse erreur qui charmoit sa pensée !
PeJadis certain bigot, d’ailleurs homme sensé,
D’un mal assez bizarre eut le cerveau blessé,
S’imaginant sans cesse, en sa douce manie,
Des esprits bienheureux entendre l’harmonie.
Enfin un médecin fort expert en son art
Le guérit par adresse, ou plutôt par hasard ;
Mais voulant de ses soins exiger le salaire,
Moi vous payer ! lui dit le bigot en colère,
Vous dont l’art infernal, par ses secrets maudits,
En me tirant d’erreur m’ôte du paradis !
EnJ’approuve son courroux ; car, puisqu’il faut le dire,

  1. Cet auteur, avant que son poëme de la Pucelle fût imprimé, passoit pour le premier auteur du siècle. L’impression gâta tout. (B).
  2. On tenoit chez Ménage toutes les semaines une assemblée où alloient beaucoup de petits esprits. (B.)