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Mais il en est pourtant qui le pourroient valoir.
— Ma foi, ce n’est pas vous qui nous le ferez voir, »
A dit mon campagnard avec une voix claire.
Et déjà tout bouillant de vin et de colère.
« Peut-être, a dit l’auteur pâlissant de courroux :
Mais vous, pour en parler, vous y connoissez-vous !
— Mieux que vous mille fois, dit le noble en furie.
— Vous ? mon Dieu ! mêlez-vous de boire, je vous prie, »
À l’auteur sur-le-champ aigrement reparti.
« Je suis donc un sot, moi ? vous en avez menti, »
Reprend le campagnard ; et, sans plus de langage,
Lui jette pour défi son assiette au visage.
L’autre esquive le coup ; et l’assiette volant
S’en va frapper le mur, et revient en roulant.
À cet affront l’auteur, se levant de la table,
Lance à mon campagnard un regard effroyable :
Et, chacun vainement se ruant entre deux,
Nos braves s’accrochant se prennent aux cheveux.
Aussitôt sous leurs pieds les tables renversées
Font voir un long débris de bouteilles cassées :
En vain à lever tout les valets sont fort prompts,
Et les ruisseaux de vin coulent aux environs[1].
EtEnfin, pour arrêter cette lutte barbare,
De nouveau l’on s’efforce, on crie, on les sépare ;

  1. Ce passage est imité en entier de Regnier :

    Le pédant tout fumeux de vin et de doctrine

    Répond, Dieu sait comment. Le bon Jean se mutine.

    Il sembloit que la gloire en ce gentil assaut

    Fût à qui parlerait, non pas mieux, mais plus haut…

    …Ainsi ces gens, à se piquer ardens,

    Survinrent du parler, à tic-tac, torche, lorgne ;

    Qui, casse le museau, qui, son rival éborgne ;

    Qui, jette un pain, un plat, une assiette, un couteau,

    Qui, pour une rondache, empoigne un escabeau.