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LA CONSOLATION PHILOSOPHIQUE, LIV. I.

Ses vêtements étaient formés d’une étoffe très-déliée, merveilleusement travaillée et d’une matière indestructible ; j’appris plus tard d’elle-même qu’elle l’avait tissée de ses propres mains. Le temps, quelque peu d’incurie aidant, en avait assombri les couleurs, comme il ternit l’éclat des vieilles peintures. Sur le bord inférieur de sa robe était brodé un Π ; sur le bord supérieur un Θ3. Entre ces deux lettres on voyait tracées, en forme de degrés, des lignes qui s’échelonnaient du premier caractère au second. Plus d’un brutal avait déchiré ce vêtement4, et de ces lambeaux, chacun s’était approprié le plus qu’il avait pu. Enfin, dans sa main droite, elle tenait des livres, dans la gauche un sceptre. Elle n’eut pas plus tôt aperçu les Muses de la poésie, assises à mon chevet et dictant des expressions à ma douleur, que sortant pour un moment de son calme habituel, et lançant des regards enflammés de colère : « Qui donc, dit-elle, a permis à ces filles de théâtre d’approcher de ce malade ? Ne sait-on pas qu’elles ne possèdent aucun baume pour endormir ses souffrances ? Qu’elles les nourriraient plutôt par leurs doucereux poisons ? Ce sont elles, en effet, qui étouffent sous les stériles épines des passions les opulentes moissons de la sagesse. Elles peuvent accoutumer l’âme humaine à la douleur : elles ne l’en délivrent pas.

« Encore si vous débauchiez un profane, comme c’est votre habitude, je m’inquiéterais peu de votre artificieux manége ; vous ne me raviriez pas du moins le fruit de mes travaux. Mais quoi ! Celui-ci ? Un homme nourri des doctrines d’Élée et de l’Académie5 ? Allons ! retirez-vous, Sirènes ! Arrière vos séductions meurtrières ! Ce sont mes Muses, à moi, qui soigneront et guériront ce malheureux6. »

Ainsi admonesté, le chœur harmonieux baissa ses regards humiliés et, le front rouge de honte, franchit tristement le seuil.

Pour moi, mes yeux étaient tellement obscurcis par