Page:Boethius - Consolation 1865.djvu/137

Cette page n’a pas encore été corrigée

« Au temps même ou tu jouissais de sa présence et de ses faveurs, tu la gourmandais souvent par des apostrophes viriles ; et tu la harcelais à coups de sentences empruntées à mes oracles. Mais une révolution subite ne se produit jamais dans les choses sans jeter quelque perturbation dans les esprits. C’est ainsi que pendant un temps, toi aussi tu as failli à ta sérénité habituelle. Mais le moment est venu de te faire savourer un doux et délicieux breuvage qui, pénétrant jusqu’au fond de tes organes, préparera les voies à des philtres plus héroïques. Vienne donc avec sa persuasive éloquence la Rhétorique, qui ne se maintient dans le droit chemin qu’en suivant docilement mes instructions, et qu’à ses côtés, la Musique, cette charmante esclave née dans ma maison, fasse entendre des accords tantôt graves, tantôt légers.

« Qu’est-ce donc, ô homme, qui t’a plongé dans la tristesse et le deuil ? Tu as vu quelque chose de nouveau et d’extraordinaire, sans doute. Quoi ! tu t’imagines que la Fortune a changé à ton égard ? Non pas. De tout temps elle a eu ces procédés et ce caractère. Il est plus vrai de dire que dans ses rapports avec toi, c’est à son inconstance qu’elle est restée fidèle. Telle elle est aujourd’hui, telle elle était naguère lorsqu’elle te cajolait et qu’elle te fascinait par le mirage d’une félicité trompeuse.

« Tu connais à présent sous son double visage cette aveugle divinité. Déguisée encore pour nombre d’autres, elle s’est révélée à toi tout entière. Si tu approuves ses procédés, accepte-les tels qu’ils sont et ne te plains pas. Si sa perfidie te fait horreur, repousse avec mépris ses pernicieuses caresses. Ce qui te cause aujourd’hui tant d’affliction devrait être pour toi un motif de tranquillité. Tu es enfin débarrassé d’une compagne que personne ne peut être sur de conserver près de soi. De bonne foi, peux-tu attacher beaucoup de prix à une félicité que tu dois perdre ? Peux-tu l’aimer beaucoup, cette Fortune