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LA CONSOLATION PHILOSOPHIQUE, LIV. I.

à près de cinq cent mille pas du lieu de ma résidence, sans avoir été entendu, que, pour cause d’attachement excessif aux intérêts du Sénat, je suis frappé d’un arrêt de mort et de confiscation. Oh ! qu’il mériterait bien, ce Sénat, que personne ne pût être convaincu d’un pareil crime ! Crime glorieux pourtant, au jugement même des délateurs, car ils ne crurent pas inutile de le renforcer d’un autre forfait, et ils m’accusèrent calomnieusement d’avoir, dans un intérêt d’ambition, souillé ma conscience d’un sacrilége31. Tu sais pourtant, ô toi qui habites au fond de mon âme, quel mépris tu m’avais inspiré pour toutes les choses humaines. Ce n’est pas sous tes yeux que j’aurais pu commettre un sacrilége ; car chaque jour tu murmurais à mon oreille et à mon esprit ce précepte de Pythagore : Prends Dieu pour guide32 ! Et comment imaginer que j’aurais invoqué le secours des esprits les plus abjects, moi que tu acheminais vers ce degré de perfection, d’être semblable à Dieu33 ?

« De plus la bonne discipline de ma maison, l’honneur intègre des amis qui m’entouraient, le nom sans tache de mon beau-père Symmaque34, de cet homme aussi vénérable que tu l’es toi-même, me protègent contre tout soupçon d’un pareil crime. Mais, ô honte ! c’est à cause de toi que ces misérables m’en croient capable ; et il semble que je doive être adonné aux arts magiques, parce que je suis pénétré de ta doctrine et de ta morale. Ainsi, ce n’est pas assez que je n’aie bénéficié en rien du respect qui t’est dû, il faut encore qu’en me persécutant la malveillance te déchire. Mais ce qui met le comble à mes maux, c’est que la plupart des hommes jugent des choses, non d’après leur mérite, mais d’après l’événement, et qu’à leur sens, il n’y a d’entreprises raisonnables que celles qu’a couronnées le succès. Aussi arrive-t-il que l’estime des autres est le premier bien qui abandonne les malheureux.