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LA CONSOLATION PHILOSOPHIQUE, LIV. I.

« Dans une année d’affreuse disette, par une cruelle et inexplicable mesure, un édit de coemption20 avait été rendu qui devait ruiner la Campanie21 ; dans l’intérêt du bien public, je ne reculai pas devant un conflit avec le Préfet du prétoire ; je plaidai au tribunal du Roi, j’obtins gain de cause, et l’édit ne fut pas exécuté.

« Paulin22, homme consulaire, allait devenir la proie des chiens du palais ; déjà ils sollicitaient ses biens et les dévoraient en espérance ; je l’arrachai de leurs gueules béantes. »

« Albinus23, un autre consulaire, avait été décrété d’accusation ; il était condamné d’avance ; pour le soustraire au supplice, je bravai la haine de Cyprien24, son délateur. Te semble-t-il que j’aie amassé contre moi assez de colères ? À la vérité, je devais me croire d’autant plus en sûreté auprès des autres, que, du côté des courtisans, ma passion pour la justice ne m’avait ménagé aucune chance de salut. »

« Or, quels sont ceux qui m’ont dénoncé et abattu sous leurs coups ? Un Basile25, chassé jadis de la maison du Roi, et réduit à m’accuser pour payer ses dettes. Quant à Opilion26 et à Gaudentius27, leurs brigandages sans nombre et de toute sorte les avaient fait bannir par arrêt du prince ; ils refusèrent d’obéir, et cherchèrent un asile dans un temple ; le Roi, l’ayant appris, ordonna que si, dans le délai d’un jour, ils n’avaient pas quitté Ravenne, ils seraient marqués au front, puis expulsés de la ville. Pouvait-on les traiter plus durement ? Eh bien ! ces misérables m’ayant dénoncé, le jour même, leur accusation fut admise. Quoi donc ? ma conduite avait-elle mérité un pareil affront ? ou la condamnation qui avait frappé mes délateurs les avait-elle transformés en honnêtes gens28 ? Ainsi la Fortune n’a pas eu honte, je ne dis pas de l’innocence de l’accusé, mais de l’infamie des accusateurs ! »