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ciation d’un bening augural, ou l’opposition d’un Magistrat tout estoit
 cassé, dequoy[1] Ciceron & Caton mesmes se plaignoient bien fort. Car la puissance & la faveur des competiteurs, qui estoyent tousjours en
 grand nombre, pour avoir les offices, & ennemis les uns des autres, empeschoit l’assemblee du peuple, ou le troubloit quand il estoit assemblé, & les Magistrats qui estoyent en charge y tenoyent la main, pour continuer leur puissance : de sorte qu’il passoit quelquesfois un an tout entier sans faire aucun Magistrat, comme il advint quand Pompee le 
Grand fut esleu Consul tout seul. C’est pourquoy les Grisons, qui tiennent l’estat populaire, ne s’assemblent que de deux en deux ans à Coire pour faire leurs officiers, ou publier nouvelles ordonnances. Or il n’y a 
rien plus dangereux, ny plus contraire à l’estat populaire, que soufrir les 
Magistrats continuer longuement en leur charge, comme nous avons monstré cy dessus. Mais il y a bien plus grand danger, quand il est question de prendre conseil, & résolution pour la Republique, qui est en peril extreme. Car les Magistrats ne peuvent rien faire sans l’advis du peuple, & n’est possible de l’assembler si tost qu’il est besoing, & les plus sages n’osent rien dire en l’assemblee, craignans la fureur d’un peuple, qui descharge toujiours ses fautes sus les gouverneurs : en sorte que Philippe I. Roy de Macedoine, ayant couru, & fourragé jusques au pays d’Attique, il n’y eut pas un Magistrat qui osast assembler les estats, mais le rebut du peuple vint tout effrayé sus la place, & ne se trouva personne, dit Demosthene, osast porter la parole. Et le mesme cas advint à Florence, quand l’armee de l’Empereur fist les aproches pour l’assieger, à l’instance du Pape Clement VII. tout le peuple estoit si estonné, qu’il ne sçavoit en quoy se resoudre. Car les ordonnances de Florence vouloyent, que tous les citoyens s’assemblassent devant la maison de ville, pour deliberer tout haut, sus les articles proposez par le grand Magistrat : alors le peuple estoit esperdu. Et tout ainsi que le naturel d’une peuple, dit Tite Live, est insolent, & desbordé en toute licence, quand les afaires se portant bien : aussi est-il tout soudain ravalé, & abatu d’une perte, comme nous avons monstré cy devant. Et comment seroit-il possible, que la majesté souveraine d’un estat fust conservee en une multitude guidee par un Magistrat, & qu’il faut ranger bien souvent à coups de baston ? & in qua regenda plus pœna quàm obsequium valet, disoit Tite Live. Aussi Phocion, voyant que le peuple d’Athenes ne vouloit pas lui faire audience, alors il s’escria, ô foüet de Corfou, combien tu vaux de talents. Qui monstre bien que la majesté perist en un peuple, qui toutefois est le seul point, & pivot, sur lequel la Republique est soustenuë. Mais passant outre, tous ceux qui ont discouru des estats sont d’accord, que le but principal, & la fin de toutes Republiques, est de fleurir en honneur &

  1. Scire velim, inqui, num censum impedant tribuni diebus vitiandis. & ay mesme lieu, Proseripsit Marcellinus se per omnes dies comitiales de cœlo servaturum conciones turbulentæ Metelli, remeratiæ Apij, furiosissimæ Publij.