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mer un estat le plus tyrannique du monde. & en autre lieu il confesse, que l’estat de Venize est le plus beau de tous : lequel est une pure Aristocratie s’il en fut onques : tellement qu’il ne sçait à quoy se tenir. Si nous prenons l’advis de Platon, nous trouverons qu’il a blasmé l’estat populaire, l’appellant une foire où tout se vend. Nous avons mesme jugement d’Aristote, qui dit que l’estat populaire ny Aristocratique n’est pas bon, usant de l’auctorité d’Homere, ςγχάγαζίιπιλυχοιραγέη.L’eſtat populaire blaſmé de tous les grands perſõnages. Et l’orateur Maximus Tyrius, tient que la Democratie est pernicieuse, blasmant pour ceste cause l’estat des Atheniens, Syracusains, Carthaginois, Ephesiens. Car il est impossible, dit Seneque, que celuy plaise au peuple, à qui la vertu plaist. Aussi Phocion, l’un des plus sages, & vertueux hommes qui fut onques, estoit tousjours contraire au peuple, & le peuple à luy : & comme un jour le peuple trouvait son son conseil bon, il se tourna vers ses compagnons disant, M’est-il point eschapé quelque mauvaise opinion ? Et comment pourroit un peuple, c’est à dire une beste à plusieurs testes, sans jugement, & sans raison, rien conseiller de bien ? Et demander conseil au peuple, comme l’on faisoit anciennement és Republiques populaires, n’est autre chose que demander sagesse aux
 furieux. Ce qu’ayant veu Acharnasis, & que les Magistrats, & anciens
 disoyent leur opinion en pleine assemblee, puis apres le peuple donnoit sa resolution, il dist qu’en Athènes les sages proposoyent, & les fols disposoyent. & quand ores on pourroit tirer quelque bonne resolution
 d’un peuple, qui est l’homme si despourveu de sens, qui trouvast bon
 d’esvanter en public le conseil d’un estat ? est-ce pas soüiller les choses
 sacrees ? encores les choses sacrees estant prophanees peuvent estre purifiees : mais d’un conseil d’affaires concernant l’estat, qui est esventé, il n’en
 faut rien esperer, qui ne tourne au dommage, & deshonneur de la Republique. Et pour ceste cause principale, l’estat d’Athenes, de Syracuse, & de Florence est tombé en ruine. Je laisse les difficultez qu’il y a d’assembler un peuple en un lieu, le desordre qui est en une multitude, la variété
 & inconstance des gens ramassez de toutes pieces. & toutesfois s’il ne plaist au Magistrat, ny le Sénat, ny le peuple n’est point assemblé : comme il advint au consulat de Cesar, lequel pour venir à chef de ses entreprises, ayant estonné Bibule son collègue, ne voulut que le Senat s’assemblast, tant que dura son office. Et si la pluspart des Tribuns s’enten
doyent avec le Consul, ny le Sénat, ny le peuple ne se pouvoit assembler : de sorte que l’auctorité du Sénat, & la majesté souveraine
 estoit par ce moyen asservie à six ou sept testes. Et ce pendant, on sçait le
 danger qu’il y a de ne pourvoir soudain aux affaires urgentes. Car par les loix de Solon, & des douze tables, il falloit par trois fois assembler le
 peuple, au paravant que l’ordonnance publiée fut receuë. Or il advenoit souvent, que le vol dextre d’un oiseau, ou le cri d’un rat, ou le mal caduc, 
peut estre de quelque yvroigne, empeschoit l’assemblee, & à la moindre dénon-