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la mère. Le fils en appelle au parlement de Toulouze, où il fut dit mal jugé, et en amendant le jugement, il fut condamné à être brûlé tout vif, sans avoir égard aux cris, et lamentations de la mère, qui protestait lui pardonner, et n’avoir reçu aucune injure. Sénèque parlant du père qui chasse seulement son fils de sa maison, ô que le père, dit-il, coupe ses membres à grand regret, combien il fait de soupirs en les coupant, combien de fois il pleure après les avoir coupés, et combien il souhaite les remettre en leur place. Tout ce que j’ai dit, et les exemples que j’ai déduits de si fraiche mémoire serviront pour montrer qu’il est besoin de rendre au père la puissance de la vie et de la mort, que la loi de Dieu et de nature leur donne : loi qui a été la plus ancienne qui fut onques, commune aux Perses, et aux peuples de la haute Asie, commune aux Romains, aux Hébrieux, aux Celtes, et pratiquée en toutes les Indes Occidentales auparavant qu’elles fussent assujetties des Espagnols : autrement il ne faut pas espérer de jamais voir les bonnes mœurs, l’honneur, la vertu, l’ancienne splendeur des Républiques rétablies. Car notre Justinian[1] s’est abusé de dire, qu’il n’y avait peuple qui eût telle puissance sur leurs enfants que les Romains, et ceux qui ont suivi son opinion. Nous avons la loi de Dieu qui doit être sainte et inviolable à tous peuples. Nous avons le témoignage des histoires Grecques et Latines, pour le regard des Perses[2], des Romains[3], et des Celtes[4], desquels parlant Cæsar en ses mémoires : Les Gaulois, dit-il, ont puissance de la vie et de la mort sur leurs enfants, et sur leurs femmes, aussi bien que sur leurs esclaves. Et combien que Romule[5] en la publication de ses lois eût limité la puissance de la vie et de la mort, qu’il donnait aux maris sur les femmes, en quatre cas : si est-ce qu’il ne limita rien pour le regard des pères, leur donnant pleine puissance de disposer de la vie et de la mort de leurs enfants, et sans qu’ils puissent rien acquérir[6] qui ne fût aux pères. Et non seulement les Romains avaient telle puissance sur leurs propres enfants, ains aussi sur les enfants d’autrui par eux adoptés[7]. Laquelle puissance deux cent soixante ans après fut ratifiée, et amplifiée par les lois des douze[8]tables : qui donnèrent aussi puissance au père de vendre ses enfants, et s’ils se rachetaient, les revendre jusqu’à trois fois. Loi qui s’est trouvée du tout semblable aux Îles occidentales, comme nous lisons en l’historie des Indes. Et encore à présent il est permis au père en tout le pays de Moschovie, et de Tartarie, de vendre jusqu’à quatre fois inclusivement ses enfants : puis s’ils se rachètent, ils sont affranchis du tout. Par le moyen de cette puissance paternelle les Romains ont fleuri en tout honneur et vertu, et souvent la République a été relevée de sa chute inévitable, par la puissance paternelle, alors que les pères venaient tirer[9] leurs enfants magistrats de la tribune aux harangues, pour les empêcher de publier loi ni requête qui tendît à sédition. Et entre autres Cassius guetta son fils hors la tribune, et le fît mourir, pour avoir publié la loi

  1. in tit. de patria. pot. in institut.
  2. Aristot. in polit.
  3. l. in suis. de liberis & posthu.
  4. Cæsar lib.6. commentar.
  5. Dionys. halicar. lib.2.
  6. l. placuit. de acquir. hæredit.
  7. Gell. lib.5. c.19
  8. Gell. lib.20.
  9. Dionys. halycar. lib.2.