Page:Bodin - Les Six Livres de la République, 1576.djvu/22

Cette page n’a pas encore été corrigée

droits ennemis en fait de guerre : qui maintiennent leurs états et Républiques par voie de justice, de laquelle les brigands et corsaires cherchent l’éversion et ruine. C’est pourquoi ils ne doivent jouir du 
droit de guerre commun à tous peuples, ni se prévaloir des lois que
 les vainqueurs donnent aux vaincus. Et même la loi n’a pas voulu, 
que celui qui tomberait entre leurs mains, perdît un seul point de sa liberté, ou qu’il ne pût faire testament, et tous actes légitimes, que ne pouvait celui qui était captif des ennemis, comme étant leur esclaves, qui perdait sa liberté, et la puissance domestique sur les siens. Et si on dit que la loi veut qu’on rende au voleur le gage, le dépôt, la chose empruntée, et qu’il soit ressaisi des choses par lui occupées injustement sur autrui, s’il en est dépouillé par violence, il y a double raison : l’une que le brigand mérite qu’on ait égard à lui, quand il vient
 faire hommage au magistrat, et se rend sous l’obéissance des lois pour demander, et recevoir justice : l’autre que cela ne se fait pas tant en faveur des brigands, qu’en haine de celui qui veut retenir la sacré dépôt, ou qui procède par voie de fait ayant la justice en main. Et quant 
au premier nous en avons assez d’exemples, mais il n’y en a point de plus mémorable que d’Auguste l’Empereur, qui fît publier à son de trompe qu’il donnerait XXV. mil écus à celui qui prendrait Crocotas
 chef des voleurs en Espagne : de quoi averti Crocotas, se représente lui même à l’Empereur, et lui demande XXV. mil écus. Auguste les lui fît payer, et lui donna sa grâce : afin qu’on ne pensât point qu’il voulût lui ôter la vie, pour le frustrer du loyer promis, et que la foi et sûreté publique fût gardée à celui qui venait en justice : combien qu’il pouvait procéder contre lui, et lui faire son procès. Mais qui voudrait user du droit commun envers les corsaires et voleurs, comme avec les
 droits ennemis, il ferait une périlleuse ouverture à tous vagabonds de
 se joindre aux brigands, et assurer leurs actions et ligues capitales sous 
le voile de justice. Non pas qu’il soit impossible de faire un bon Prince d’un voleur, ou d’un corsaire un bon Roi : et tel pirate y a, qui mérite mieux d’être appelé Roi, que plusieurs qui ont porté les sceptres et diadèmes, qui n’ont excuse véritable, ni vraisemblable, des vole
ries et cruautés qu’ils faisaient souffrir aux sujets : comme disait Demetrius
 le corsaire au Roi Alexandre le grand, qu’il n’avait appris autre métier de
 son père, ni hérité pour tout bien que deux frégates : mais quant à lui qui blâmait la piratique, il ravageait néanmoins, et brigandait avec deux
 puissantes armées, par mer, et par terre, encore qu’il eût de son père un grand et florissant royaume, ce qui émut Alexandre plutôt à un remord de conscience, que à venger la juste reproche à lui faite par un écumeur, 
 qu’il fît alors capitaine en chef d’une légion : comme de notre âge Sultan Suleyman appela à son conseil les deux plus nobles corsaires de mémoire d’homme, Ariadin Barberousse, et Dragut Reis, faisant l’un et l’autre Amiral,