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qu’il fût de nouveau secouru par son père. C’est ainsi que la malice du Fortarrigo entrava la bonne résolution de l’Angiullieri ; toutefois celui-ci ne laissa pas en temps et lieu ce méchant tour impuni. — »


NOUVELLE V


Calandrino s’amourache d’une jeune fille, Bruno lui fait un talisman sous forme d’écrit, en lui disant qu’aussitôt qu’il en toucherait la jeune fille, celle-ci le suivrait. Calandrino ayant obtenu un rendez-vous, sa femme le surprend et fait grand tapage.


Quand Néiphile eut fini sa courte nouvelle, sans que la compagnie en eût ni trop ri, ni trop parlé, la reine s’étant tournée vers la Fiammetta, lui ordonna de poursuivre. Celle-ci, toute joyeuse, répondit : Volontiers ! et commença : « — Très gentes dames, comme vous le savez, je crois, il est des choses qui plaisent toujours davantage plus on en parle, si celui qui parle veut se donner la peine de bien choisir le temps et le lieu convenables. Et pour ce, si je considère le motif pour lequel nous sommes ici — et nous y sommes pour nous tenir en fête et avoir du bon temps, et non pour autre motif — j’estime que tout ce qui pourra nous procurer fête et plaisir, a ici son lieu et place ; et bien qu’on ait pu en parler déjà mille fois, on ne peut qu’éprouver du plaisir en en parlant encore. Pour quoi, bien qu’il ait été souvent question entre nous des faits et gestes de Calandrino, si je considère, comme vous l’a dit il y a un moment Philostrate, qu’ils sont tous plaisants, je me hasarderai, en sus de celles qui ont déjà été dites, à vous conter une nouvelle, laquelle, si j’eusse voulu ou si je voulais m’écarter de la vérité, j’aurais bien su, je saurais bien composer et raconter sous d’autres noms ; mais pour ce que se départir de la vérité en racontant diminue grandement le plaisir de ceux qui écoutent, je vous la dirai sous sa propre forme, pour la raison susdite.

« Niccolo Cornacchini fut notre concitoyen. C’était un homme très riche, et parmi ses autres domaines, il en possédait un fort beau à Camerata, sur lequel il fit construire un élégant et magnifique château. Il s’entendit, pour le faire complètement peindre, avec Bruno et Buffamalcco, lesquels, pour ce qu’il y avait beaucoup de travail, s’adjoignirent Nello et Calandrino, et se mirent à la besogne. Bien qu’il y eût en ce château bon nombre de chambres bien fournies en