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reux, dit : — Que male aventure lui puisse arriver d’être venu hier soir. Il nous a tenues toute la nuit en l’air, et t’a fait geler de froid. Mais tu sais qui c’était. Prends-en ton parti, car ce qui n’a pas pu se faire cette nuit, se fera une autre fois ; je sais très bien que rien ne pouvait arriver de plus déplaisant à Madame. — » L’écolier, plein de dépit, mais sachant en homme sage que les menaces sont des armes pour ceux qui sont menacés, refoula au fond de son cœur ce qu’il aurait voulu pouvoir en exhaler, et d’une voix soumise, sans se montrer aucunement courroucé, il dit : « — De vrai, j’ai passé la plus mauvaise nuit que j’aie jamais eue, mais j’ai bien vu que ce n’était aucunement la faute de la dame, pour ce qu’elle est venue elle-même, par pitié pour moi, s’excuser et me réconforter ; et, comme tu dis, ce qui n’a pu se faire cette nuit, se fera une autre fois. Recommande-moi à elle, et va avec Dieu. » — Et quasi tout raidi de froid, il s’en retourna chez lui comme il put. Là, brisé de fatigue et tombant de sommeil, il se jeta sur son lit pour dormir, et se réveilla quasi tout perclus des bras et des jambes. Pour quoi, ayant fait appeler un médecin et lui ayant exposé le froid qu’il avait éprouvé, il se fit soigner. Les médecins employant des remèdes énergiques et prompts, eurent grand’peine à guérir ses nerfs et à obtenir qu’ils pussent se détendre ; et s’il n’avait pas été jeune, et si la saison chaude n’était pas survenue, il aurait eu par trop à souffrir. Mais redevenu sain et bien portant, cachant soigneusement sa haine, il se montrait plus que jamais amoureux de sa veuve.

« Or, il advint qu’après un certain laps de temps, la fortune fournit à l’écolier l’occasion de satisfaire son désir, pour ce que le jouvenceau qui était aimé par la dame, sans aucun égard pour l’amour que celle-ci lui portait, s’amouracha d’une autre femme ; et comme il ne voulait peu ou prou dire ni faire chose qui lui fît plaisir, elle se consumait dans les larmes et dans l’amertume. Mais sa servante qui en avait grand’pitié, ne trouvant pas le moyen de distraire sa maîtresse du chagrin d’avoir perdu son amant, et voyant passer l’écolier dans la rue comme d’habitude, eut une folle pensée, à savoir qu’on devait pouvoir contraindre par quelque opération de nécromancie l’amant de sa dame à l’aimer comme il avait auparavant coutume de le faire, et que l’écolier devait être grand maître en cela ; ce qu’elle dit à sa dame. La dame, peu sage, sans réfléchir que si l’écolier avait connu la nécromancie, il l’aurait employée pour soi-même, ajouta foi aux paroles de sa servante, et lui dit aussitôt de savoir de lui s’il voulait le faire, et de lui promettre pour sûr, qu’en récompense elle ferait ce qu’il lui plairait.