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jetterai dans le feu, et même plus. — » « — Or bien, — dit la dame — je veux que tu couches cette nuit avec un homme dans mon lit, et que tu lui fasses des caresses, mais garde-toi bien de prononcer une parole, de façon à n’être point entendue de mes frères qui dorment, comme tu sais, tout à côté ; je te donnerai ensuite la chemise. — » La Ciutazza dit : « — Je coucherai avec six, au lieu d’un, s’il est besoin. — »

« Donc, le soir venu, messer le prévôt s’en vint comme on le lui avait dit. Les deux jeunes gens, selon qu’ils en étaient convenus avec la dame, étaient dans leur chambre et se faisaient entendre ; pour quoi, le prévôt étant entré sans bruit et sans lumière dans la chambre de la dame, s’en alla, comme elle le lui avait dit, droit au lit où s’était déjà glissée la Ciutazza, bien informée par sa maîtresse de ce qu’elle avait à faire. Messer le prévôt, croyant avoir la dame à côté de lui, prit la Ciutazza dans ses bras et se mit à l’embrasser sans dire mot, et la Ciutazza de son côté lui en fit autant ; sur quoi le prévôt commença à se satisfaire avec elle, prenant enfin possession des biens si longtemps désirés.

« Quand la dame eut fait cela, elle ordonna à ses frères de faire le reste de ce qui était convenu, et ceux-ci, étant sortis sans bruit de leur chambre, s’en allèrent vers la grande place ; et la fortune leur fut plus favorable pour ce qu’ils voulaient faire qu’ils ne l’avaient eux-mêmes souhaité, pour ce que, la chaleur étant grande, l’évêque s’était informé d’eux, dans l’intention d’aller jusque chez eux pour se promener et se rafraîchir. Mais comme il les vit venir, il leur dit son intention et se mit en route avec eux. Étant entré dans une petite cour très fraîche, où un grand nombre de flambeaux étaient allumés, il prit grand plaisir à boire d’un bon vin qu’ils lui offrirent. Quand il eut bu, les jeunes gens dirent : « — Messire, puisque vous nous avez fait une telle grâce de daigner visiter notre pauvre petite maison, en laquelle nous venions vous inviter, nous vous prions de consentir à voir une petite chose que nous voulons vous montrer. — » L’évêque répondit qu’il y consentait volontiers ; pour quoi, l’un des jeunes gens prit une des torches allumées, passa devant, et l’évêque et tous les autres le suivant, il se dirigea vers la chambre où messer le prévôt était couché avec la Ciutazza.

« Pressé d’arriver, le prévôt s’était hâté de chevaucher, et il avait déjà couru plus de trois milles, avant que ceux-ci vinssent ; pour quoi, étant fatigué, il se reposait, tenant, nonobstant la chaleur, la Ciutazza dans ses bras. Le jeune homme étant donc entré dans la chambre, son flambeau à la main et suivi de l’évêque et de tous les autres, leur montra le prévôt tenant entre ses bras la Ciutazza. Sur