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fut fort marri et pensa qu’il ne pourrait jamais sortir de cette forêt. À l’approche du jour, comme il mourait de froid sur le chêne et qu’il regardait tout autour de lui, il vit devant lui, à environ un mille, un très grand feu ; pour quoi, dès qu’il fit tout à fait jour, il descendit de dessus le chêne, non sans avoir grand’peur, et se dirigeant vers ce feu, il marcha jusqu’à ce qu’il y fut arrivé. Il trouva, assis tout autour, des bergers qui mangeaient et se donnaient du bon temps, et qui l’accueillirent par charité. Quand il eut mangé et qu’il se fut réchauffé, il leur conta sa mésaventure «t comment il était venu là ; puis il leur demanda s’il y avait de ce côté un village ou un château où il pût aller. Les bergers dirent qu’à environ trois milles était un château appartenant à Liello di Gampo di Fiore, où était présentement sa femme ; de quoi, Pietro, très content, les pria de lui donner quelqu’un pour l’accompagner jusqu’au château, ce que deux d’entre eux firent volontiers.

« Pietro étant arrivé au château, et y ayant trouvé quelqu’un de sa connaissance, s’occupait d’envoyer chercher la jeune fille dans la forêt, quand la dame le fit appeler. Il se rendit incontinent auprès d’elle, et voyant à ses côtés l’Agnolella, jamais joie ne fut pareille à la sienne. Il mourait d’envie d’aller l’embrasser, mais il était retenu par le respect qu’il avait pour la dame. Et s’il fut très joyeux, la joie de la jeune fille ne fut pas moindre. La gente dame, l’ayant bien accueilli et lui ayant fait fête, et ayant entendu de sa bouche ce qui lui était arrivé, le reprit vivement de ce qu’il avait voulu faire contre la volonté de ses parents. Mais, pourtant, voyant qu’il était toujours dans les mêmes dispositions et qu’il plaisait à la jeune fille, elle dit : « — À quoi vais-je perdre ma peine ? Ils s’aiment, ils se connaissent ; chacun d’eux est ami de mon mari, et leur désir est honnête ; je crois de plus qu’il plaît à Dieu, puisque l’un a échappé à la potence et l’autre à la lance, et tous deux aux bêtes féroces de la forêt ; donc qu’il en soit ainsi. — » Et s’étant tournée vers eux, elle dit : « — Puisque c’est ce votre volonté d’être mari et femme, cela me plaît aussi, et les noces se feront ici aux frais de Liello ; je vous ferai bien faire ensuite la paix avec vos parents. — »

« Pietro très joyeux et l’Agnolella encore plus, s’épousèrent donc en ce lieu, et comme cela fut possible à la montagne, la gente dame leur fit de fort honorables noces, et ils purent jouir très doucement des premiers fruits de leur amour. Quelques jours après, étant montés à cheval avec la dame, et étant bien accompagnés, ils s’en retournèrent à Rome, où Pietro ayant trouvé ses parents fort courroucés de ce qu’il avait fait, il se remit en paix avec eux, et vécut heu-