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près de lui, et comme elle pleurait fort, il se mit à la consoler doucement. La nuit venue, le calendrier lui étant tombé de la ceinture et les fêtes et jours fériés lui étant sortis de la mémoire, il commença à la consoler par des actes, les paroles lui paraissant avoir fait peu d’effet dans le jour ; et il la consola si bien, qu’avant qu’ils arrivassent à Monaco, le juge et ses lois étaient loin de l’esprit de la dame qui se mit à vivre le plus joyeusement du monde avec Paganino. Celui-ci l’ayant menée à Monaco, outre les consolations qu’il lui donnait de jour et de nuit, il la traitait honorablement comme sa femme.

« Au bout d’un certain temps, messer Ricciardo ayant appris où était sa femme, fut pris d’un ardent désir de la revoir : avisant que personne ne ferait aussi bien que lui ce qu’il fallait faire, il résolut d’aller la trouver lui-même, disposé à dépenser pour sa rançon tout l’argent qu’il faudrait. S’étant mis en mer, il s’en alla à Monaco, et là il vit sa femme et fut vu par elle qui, le soir même, en parla à Paganino et l’informa de ses intentions. Le lendemain matin, Messer Ricciardo, voyant Paganino, l’accosta, et lui fit sur-le-champ de grandes démonstrations d’amitié, bien que Paganino, attendant où il voulait en venir, feignît de ne le point connaître. Pour quoi, quand le moment parut venu à messer Ricciardo, il lui découvrit, du mieux qu’il sut et le plus gracieusement possible, le motif de sa venue, le priant de lui demander ce qu’il lui plairait et de lui rendre la dame. À quoi Paganino répondit d’un air joyeux : « — Messire, soyez le bien venu ; et pour vous répondre brièvement, je vous dis ceci : il est vrai que j’ai chez moi une jeune dame ; et je ne sais si elle est votre femme ou celle d’un autre, pour ce que je ne vous connais pas ni elle non plus, si ce n’est pour le peu de temps qu’elle a demeuré avec moi. Si vous êtes son mari, comme vous le dites, je vous conduirai vers elle, car vous me semblez être un aimable gentilhomme, et je suis certain qu’elle vous reconnaîtra bien. Si elle dit que les choses sont comme vous le prétendez, et qu’elle veuille s’en aller avec vous, vous me donnerez pour sa rançon ce que vous-même voudrez ; si les choses ne sont pas ainsi, vous feriez une vilaine action en me la voulant ôter, pour ce que je suis jeune, et puis tout comme un autre avoir une femme, et surtout celle-ci qui est la plus plaisante que j’aie jamais vue. — Messer Ricciardo dit alors : « — Certes, elle est ma femme, et si tu me mènes où elle est, tu le verras ; elle se jettera aussitôt à mon col ; et pour ce, je ne demande pas qu’il soit fait autrement que tu l’as toi-même proposé. — » « — Allons donc — dit Paganino. — »

« Ils se rendirent donc en la maison de Paganino, et étant