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enfants, comme il le promettait. Alors Jaquet s’étant retourné, et ayant fait mettre devant lui le comte, son palefrenier, ainsi que Perot, dit : « — Monseigneur, voici le père et le fils ; la fille, qui est ma femme, n’est point ici, mais avec l’aide de Dieu, vous la verrez bientôt. — »

Le roi, oyant cela, regarda le comte, et bien que celui-ci fût grandement changé de ce qu’il était auparavant, il le reconnut et les yeux quasi pleins de larmes il le releva comme il s’était mis à genoux devant lui, l’accola et le baisa ; puis il accueillit amicalement Perot, et ordonna que le comte fût incontinent pourvu de vêtements, de domestiques, de chevaux et de harnais, selon qu’il convenait à sa noblesse ; ce qui fut fait aussitôt. En outre, le roi fit grand honneur à Jaquet et voulut connaître toutes ses aventures passées ; et quand Jaquet eut reçu les hautes récompenses qu’on lui donna pour avoir découvert le comte et ses enfants, le comte lui dit : « — Prends-les de la munificence de Monseigneur le roi, et souviens-toi de dire à ton père que tes fils, ses petits-enfants et les miens, ne sont point issus par leur mère d’un mendiant. — » Jaquet prit les présents, et fit venir à Paris sa femme et sa belle-mère ; la femme de Perot y vint aussi ; et là, ils firent une grandissime fête avec le comte que le roi avait rétabli dans tous ses biens, et qu’il avait fait plus puissant qu’il n’avait jamais été. Puis, avec sa permission chacun retourna chez soi, et le comte vécut à Paris jusqu’à sa mort plus glorieusement que jamais. — »



NOUVELLE IX


Bernabo de Gênes, induit en erreur, perd son argent et ordonne de tuer sa femme innocente. Celle-ci se sauve et entre, sous des habits d’homme, au service du Soudan. Elle retrouve celui qui a trompé son mari, le fait punir, et ayant repris ses habits de femme, elle revient avec son mari à Gênes.


Élisa ayant fourni sa tâche en contant sa touchante nouvelle, la reine Philomène qui était belle et grande de sa personne, et qui, plus que tout autre, était d’un visage riant et agréable, se recueillit un instant et dit : « — La convention faite avec Dioneo doit être observée ; pour quoi, comme il ne reste plus que lui et moi à dire des nouvelles, je dirai d’abord la mienne, et lui, qui a requis cela comme une faveur, parlera le dernier. — » Et ayant dit cela, elle commença ainsi : « — Parmi le vulgaire, on a coutume d’émettre souvent ce proverbe, à savoir que le trompeur reste au pied