Page:Boccace - Contes de Boccace, trad De Castres, 1869.djvu/96

Cette page n’a pas encore été corrigée

à distinguer lequel des deux était le mort. Ayant repris ses sens, il pleure, il gémit, il se désespère, se voyant dans la cruelle alternative, ou de périr de faim et de misère dans ce tombeau, ou d’être pendu comme un voleur, si l’on venait à le découvrir dans ce lieu.

Tandis qu’il était en proie à ces tristes réflexions, il entendit marcher dans l’église. Il se figura, avec raison, que c’étaient des voleurs qui y étaient conduits par le même appât qu’il l’avait été lui-même avec ses compagnons ; ce qui ne fit que redoubler ses craintes. Ceux-ci, après avoir ouvert le tombeau et appuyé la pierre qui le couvrait, firent les mêmes difficultés pour y entrer. Personne n’osait y descendre ; enfin un prêtre de la bande termina la contestation en disant : « Il faut convenir que vous êtes bien poltrons ! Pour moi, qui n’ai point peur des morts, j’y entrerai avec plaisir. » Le voilà dans l’instant ventre à terre sur le bord du caveau, et tournant le dos à l’ouverture, il y introduit d’abord ses jambes l’une après l’autre pour passer ensuite plus sûrement le reste du corps. André, qui s’était un peu rassuré et qui avait entendu tout ce qu’on avait dit, n’en fait pas à deux : il se lève, et, saisissant le prêtre par une jambe, il le tire à lui de toute sa force. Celui-ci de crier aussitôt et de faire des efforts pour s’échapper. Il faillit s’évanouir de peur ; mais, rassemblant le peu de forces qui lui restaient, il sortit du trou ; et, sans songer à refermer le tombeau, il suivit de près ses camarades qui s’étaient enfuis aussi vite que s’ils eussent eu cent diables à leurs trousses. André, tout joyeux de cet événement inattendu, ne perd pas un instant pour sortir du tombeau, et, muni du rubis, se sauve promptement de l’église. Il courut longtemps les rues sans savoir où il allait. À la pointe du jour, se trouvant sur le port, il se reconnut et gagna le chemin de l’auberge. L’hôte et ses compagnons de voyage lui ayant témoigné combien ils avaient été toute la nuit en peine de lui, il leur raconta sans déguisement tout ce qui lui était arrivé. L’aubergiste lui conseilla très-fort de sortir promptement de Naples. Il ne tarda pas à suivre ce conseil, et s’en retourna à Pérouse avec son beau rubis, qui le dédommagea de la perte de ses écus.


NOUVELLE VI

LES ENFANTS RETROUVÉS

Vous n’ignorez pas, mes chères dames, qu’après la mort de Frédéric II, empereur, Mainfroi fut couronné roi de Sicile. Ce prince avait auprès de lui un gentilhomme napolitain, nommé Henri Capèce, qui jouissait d’une grande