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il peste, il crie de toutes ses forces ; et, armé d’une grosse pierre, il frappe contre la porte à coups redoublés, et menace de l’enfoncer. Plusieurs des voisins qu’il avait éveillés, croyant qu’on voulait faire pièce[1] à cette bonne dame, lassés d’entendre tout ce bruit, se mirent aux fenêtres, et, semblables à une troupe de chiens qui aboient dans la rue après un chien étranger, s’écrient tout d’une voix : « C’est bien infâme de venir, à l’heure qu’il est, dire et faire de pareilles impertinences à la porte d’une femme d’honneur ! Au nom de Dieu, bonhomme, retire-toi, et laisse-nous en repos. Si tu as quelque chose à démêler avec cette dame, reviens demain, et ne nous romps plus la tête de tout ce vilain tintamarre. »

Un galant de la dame qui était dans la maison, et qu’André n’avait ni vu ni entendu, encouragé par les paroles des voisins, courut aussitôt à la fenêtre, et d’une voix fière et terrible : « Qui est là-bas ? » s’écrie-t-il. André lève la tête et voit un homme, qui, autant qu’il en put juger, lui parut un vrai coupe-jarret. Il avait une barbe noire et épaisse ; et, comme s’il sortait d’un profond sommeil, il baissait et se frottait les yeux. « Je suis frère de la dame du logis, » répondit-il tout effrayé de cette voix. Mais celui-ci, sans attendre qu’il eût achevé de répondre, et prenant un ton plus rude et plus menaçant que la première fois : « Scélérat, ivrogne, dit-il, je ne sais ce qui me tient que je n’aille t’assommer et te donner autant de coups de bâton que tu en pourras porter, pour t’apprendre à troubler ainsi le repos d’autrui ; » et, après ces mots, il ferma aussitôt la fenêtre.

Quelques-uns des voisins, qui connaissaient sans doute la trempe de cet homme, dirent à André avec douceur : « Au nom de Dieu, mon ami, retirez-vous, et ne vous faites pas tuer. Allez-vous-en, vous dit-on, c’est le plus sûr parti que vous puissiez prendre. »

Le Pérousin, aussi épouvanté du son de voix et des regards de celui qui l’avait menacé, que persuadé de la sagesse de l’avertissement et des conseils des charitables voisins, triste et désespéré d’avoir perdu son argent, reprit, pour s’en retourner à son auberge, le même chemin qu’il avait suivi avec la petite chambrière ; et, comme il pouvait à peine résister à la puanteur qu’il exhalait, il crut devoir aller du côté du port pour se laver. Il se détourna à main gauche, et entra dans la rue Catellane. Comme il gagnait le haut de la ville, il aperçut de loin deux hommes qui venaient vers lui, munis d’une lanterne sourde. Craignant que ce ne fût la patrouille ou des malfaiteurs, il voulut les éviter, et se cacha dans une masure qu’il découvrit à ses côtés. Les deux hommes y entrèrent un moment après, comme s’ils se fussent donné le mot pour le suivre. Ils s’arrêtent tout proche de lui, posent à terre plusieurs instruments de fer, et les examinent au clair de leur lanterne. Pendant qu’ils causaient sur ces divers instruments : « Que veut dire ceci ? dit l’un d’eux à son compagnon, je sens

  1. Jouer un mauvais tour. (Note du correcteur ebooks libre et gratuit).