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ce qu’il fît bien obscur. Lorsqu’on eut desservi et qu’André voulut s’en aller : « Je ne le souffrirai point pour tout au monde, dit la charitable sœur ; Naples n’est pas une ville où personne, et encore moins un étranger, puisse aller la nuit dans les rues. » Elle ajouta qu’elle avait fait dire qu’on ne l’attendît, ni pour souper, ni pour coucher. Le bon André, croyant sans peine tout ce qu’elle disait, et prenant plaisir d’être avec elle, donna dans le panneau et ne parla plus de se retirer.

Les voilà à s’entretenir de nouveau de différentes choses. Après avoir longtemps causé, la sœur prétendue, voyant qu’il était près de douze heures, laissa André dans sa chambre avec un petit garçon pour le servir, et elle se retira, avec ses femmes, dans une autre.

On était dans la canicule, et la chaleur se faisait sentir ; c’est pourquoi André, se voyant seul, crut devoir se mettre à son aise, et quitta jusqu’à ses hauts-de-chausses, qu’il posa sur le chevet de son lit, ne gardant pour tout habillement que son pourpoint. Pressé par un besoin naturel, il demanda au petit domestique où étaient les commodités. « Entrez là, » lui répondit-il en lui montrant une porte qui était dans le coin de la chambre. À peine fut-il entré, qu’ayant mis malheureusement le pied sur une planche, dont l’un des bouts était décloué du soliveau sur lequel elle portait, il tombe dans les commodités, suivi de la planche ; mais, grâce à Dieu, quoique la chute fût assez élevée, il ne se fit aucun mal. Il en fut quitte pour se voir dans un instant tout barbouillé de la puante ordure dont ce lieu était plein. Pour vous faire mieux comprendre ceci et ce qui en fut la suite, je vais vous dire de quelle façon étaient construites ces commodités. Il y avait un petit cul-de-sac fort étroit, comme nous en voyons à Florence dans plusieurs maisons, qui, au moyen de quelques planches soutenues par deux soliveaux, formait une communication avec la maison voisine. Or, le siége des commodités était au haut de ce cul-de-sac ou d’une petite allée, dans laquelle le pauvre diable se vit précipité.

Vous imaginez bien qu’il n’était rien moins qu’à son aise, au fond de ce cloaque infect. Il appelle le garçon, qui, immédiatement après qu’il eut fait la culbute, avait été en avertir sa maîtresse. Celle-ci de courir aussitôt à la chambre, et d’y chercher les habits d’André ; elle les trouve avec l’argent que le jeune homme défiant avait jusque-là porté toujours sur soi, et pour lequel cette coquine avait tendu ses piéges, en feignant d’être de Palerme et fille d’un Pérousin. Dès lors, ne se souciant plus de ce prétendu frère si chéri et si bien reçu, elle se hâta d’aller fermer la porte des commodités.

André, voyant que le garçon ne lui répondait point, cria plus fort, mais tout aussi inutilement. Il commença à soupçonner, mais un peu trop tard, qu’il était pris pour dupe. Comment sortir d’un si vilain lieu ? Il cherche, il tâtonne, pour trouver une issue ; il s’aperçoit que les latrines ne sont séparées de la rue que