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ou, s’il l’a fait, cela n’est jamais parvenu jusqu’à moi. Je n’en suis pas moins charmé de trouver ici une sœur si aimable. Vous ne sauriez croire le plaisir que j’ai de cette rencontre ; il est d’autant plus grand, que je ne m’y attendais nullement. Tout homme, quelque élevé que fût son rang, ne pourrait qu’être flatté d’une semblable découverte ; combien ne dois-je pas m’en glorifier, moi qui ne suis encore qu’un petit marchand, et qui ne connais ici personne ! Mais, de grâce, éclaircissez-moi d’un fait : par quel moyen avez-vous su que j’étais en cette ville ?

— Je l’ai appris ce matin d’une bonne femme, qui vient me voir souvent et qui a demeuré quelque temps avec votre père à Palerme et à Pérouse. Il m’a paru plus décent de vous envoyer chercher que d’aller moi-même chez vous. Soyez sûr que, sans cette considération, j’aurais été vous trouver. »

Après lui avoir ainsi répondu, elle se mit à lui demander des nouvelles de tous ses parents, qu’elle désigna par leur nom les uns après les autres. André satisfit à toutes ses questions ; et il demeura persuadé, beaucoup plus qu’il n’aurait dû l’être sans doute, de la vérité de l’histoire qu’elle venait de lui conter.

Comme la conversation avait été longue, et qu’il faisait fort chaud, elle fit apporter du vin de Grèce, avec quelques confitures, et en régala notre jeune homme. Peu de temps après, voyant que l’heure de souper approchait, André se mit en devoir de s’en retourner à son auberge. La dame l’en empêcha, et feignant même d’en être choquée : « Eh ! mon Dieu, lui dit-elle, je vois bien que tu fais peu de cas de moi, puisque, étant avec une sœur que tu n’avais jamais vue, et chez qui tu aurais dû venir descendre à ton arrivée en cette ville, il te tarde si fort de la quitter pour aller souper à l’auberge. Il n’en sera rien, je te le jure ; et, bon gré, mal gré, tu souperas avec moi. Quoique mon mari ne soit point ici, à mon grand regret, sois sûr que la bonne chère ne te manquera pas. — Vous ne me rendez pas justice, répondit André, je vous aime comme on doit aimer une sœur ; mais si je ne prends congé de vous, on m’attendra tout le soir pour souper, et il n’est pas honnête de se faire attendre. — Que le bon Dieu te bénisse ! s’écria la donzelle. N’ai-je pas ici quelqu’un pour envoyer dire qu’on ne t’attende point ? Je pense même que tu ferais bien de prier tes compagnons de voyage de venir souper ici ; tu leur ferais une politesse à laquelle ils seraient sensibles, et tu ne te retirerais pas seul, dans le cas que tu ne veuilles point coucher ici. » André répondit que, puisqu’il fallait absolument qu’il soupât avec elle, il ferait tout ce qu’elle jugerait à propos ; et que, quant à ses compagnons, il n’en voulait aucun ce soir. Elle lui en témoigna sa satisfaction, et feignit d’envoyer dire à l’auberge qu’on ne l’attendît point.

Après divers propos, on se mit à table ; les viandes furent délicates et la chère abondante. La belle fit de son mieux pour faire durer le souper jusqu’à