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que c’est un homme. Touchée de compassion, elle entre au bord de la mer, qui était tranquille, prend Landolfe par les cheveux, et vient à bout de l’entraîner, avec la caisse, sur le rivage. Elle lui détache les mains fortement accrochées à la caisse, qu’elle met sur la tête d’une fille qui était avec elle ; et prenant ensuite Landolfe sur son dos, comme s’il eût été un enfant, elle le porte à la ville, elle le met dans une étuve, et à force de le frotter, de le laver avec de l’eau chaude, elle fit revenir la chaleur et parvint à lui rendre ses forces. Lorsque la bonne femme comprit qu’il était temps de le sortir de l’étuve, elle l’en retira et acheva de le réconforter avec du bon vin et quelques confitures. En un mot, elle le traita si bien, qu’il revint à son état naturel, et connut enfin où il était. Elle crut alors devoir lui remettre sa caisse, et l’exhorta du mieux qu’elle put à oublier son infortune ; ce qu’il fit.

Quoique Landolfe ne songeât plus à la caisse, il la prit toutefois, jugeant que, pour peu qu’elle valût, il en retirerait de quoi se nourrir pendant quelques jours ; mais la trouvant fort légère, il eut peu d’espérance. Cependant, impatient de savoir ce qu’elle renfermait, il l’ouvrit de force, pendant que la femme était hors du logis, et y trouva quantité de pierres précieuses, dont une partie, mise en œuvre, était richement travaillée. Comme il se connaissait en pierreries, il vit qu’elles étaient d’un très-grand prix, loua Dieu de ne l’avoir point abandonné, et reprit entièrement courage. Mais pour éviter un troisième revers de fortune, il pensa qu’il fallait user de finesse pour conduire heureusement ces bijoux jusqu’à sa maison. C’est pourquoi il les enveloppa, le mieux qu’il put, dans de vieux linges, et dit à la bonne femme que, n’ayant pas besoin de la caisse, elle pouvait la garder, pourvu qu’elle lui donnât un sac en échange ; ce qu’elle fit très-obligeamment. Après l’avoir remerciée du service signalé qu’il en avait reçu, il mit son sac sur son col et partit. Il monta dans une barque, qui le passa à Brindes. De là il se rendit à Trany, où il rencontra plusieurs de ses compatriotes. C’étaient des marchands de soie, qui, après avoir entendu le récit de ses aventures, à l’article de la cassette près, que Landolfe crut devoir passer sous silence, le firent habiller par charité. Ils lui prêtèrent même un cheval, et lui procurèrent compagnie pour aller à Ravello, où il leur avait dit qu’il voulait retourner.

De retour dans sa patrie, et se trouvant, grâce au ciel, en lieu de sûreté, il n’eut rien de plus pressé que de visiter son sac. Il examina à loisir les pierreries, parmi lesquelles il vit beaucoup de diamants ; de sorte qu’en vendant tous ces bijoux à un prix raisonnable, il allait être du double plus riche que lorsqu’il sortit de sa patrie. Quand il s’en fut défait, il envoya une bonne somme d’argent à la femme de Gulfe qui l’avait retiré de l’eau. Il récompensa également les marchands qui l’avaient secouru à Trany, et il passa le reste de ses jours dans une honnête aisance dont il sut se faire honneur.