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il s’éleva un vent impétueux, qui, faisant enfler la mer, sépara bientôt les deux caraques. Celle qui portait l’infortuné citoyen de Ravello fut jetée avec violence au-dessus de l’île de Céphalonie, sur des rochers, où elle s’ouvrit et se brisa comme un verre. La mer fut en un instant couverte de marchandises, de caisses et des débris du navire. Tous les gens de l’équipage, qui savaient nager, luttant au milieu des ténèbres contre les vagues agitées, s’attachaient à tout ce que le hasard leur présentait pour tâcher de se sauver. Le malheureux Landolfe, à qui la perte de tout ce qu’il possédait avait fait souhaiter la mort le jour précédent, en eut une peur effroyable quand il la vit si proche. Par bonheur, il rencontra un ais et s’en saisit, espérant que Dieu voudrait bien lui envoyer quelque secours pour le retirer du danger. Il s’y plaça le mieux qu’il lui fut possible, et ne laissa pas d’être le jouet des vents et des flots, tantôt poussé d’un côté, tantôt d’un autre. Il s’y soutint cependant jusqu’à ce que le jour parût. À la faveur de la clarté naissante, il veut regarder autour de lui, et ne voit que mer, que nuages et une petite caisse, laquelle, flottant au gré des eaux, s’approchait quelquefois de si près, qu’il craignait qu’elle ne le blessât ; c’est pourquoi, quand elle s’approchait de trop près, il se servait du peu de forces qui lui restaient pour la repousser. Pendant qu’il luttait ainsi contre la caisse qui le suivait, il s’éleva dans les airs un tourbillon furieux, qui, en redoublant l’agitation des vagues, poussa la caisse contre la planche. Landolfe, renversé et forcé de lâcher prise, fut précipité sous les flots. Revenu sur l’eau et nageant plus de peur que de force, il vit l’ais fort loin de lui. Désespérant de pouvoir l’atteindre, il nagea vers la caisse qui était beaucoup plus proche, et s’y cramponna du mieux qu’il put. Il s’étendit sur le couvercle, et se servit de ses bras pour la conduire. Toujours en butte au choc des vagues, qui le jetaient de côté et d’autre, ne prenant, comme on peut se l’imaginer, aucune nourriture, et buvant de temps en temps plus qu’il n’eût voulu, il passa le jour et la nuit suivante dans cet état, sans savoir s’il était près de la terre, et ne voyant que le ciel et l’eau.

Le lendemain, poussé par la violence des vents, ou plutôt conduit par la volonté suprême de Dieu, Landolfe, dont le corps était devenu comme une éponge, accroché par ses mains à la caisse de la même manière que ceux qui sont sur le point de se noyer, aborda à l’île de Gulfe. Une pauvre femme écurait alors sur le rivage sa vaisselle avec du sable. À peine eut-elle aperçu le naufragé, que, ne reconnaissant en lui aucune forme d’homme, elle fut saisie de frayeur et recula en poussant de grands cris. Landolfe était si épuisé, qu’il n’eut pas la force de lui dire un mot ; à peine la voyait-il. Cependant les flots le poussant de plus en plus vers la rive, la femme distingua la forme de la caisse. Elle regarda alors plus attentivement, et, s’approchant davantage, elle aperçoit des bras étendus sur la caisse ; elle distingue un visage, et voit enfin