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le pauvre morfondu. Elle en sortait dans le moment que Renaud s’était placé dans cet endroit ; et, ayant entendu ses doléances et le cliquetis de ses dents : « Va voir, dit-elle à sa servante, ce que c’est. » La fille monte, regarde par la fenêtre, et aperçoit, à la faveur d’une faible clarté, un homme en chemise, assis sur le seuil de la porte. Elle lui demande ce qu’il fait là. Renaud veut lui répondre ; mais le claquement de ses dents ne lui permet pas de bien articuler ses paroles. Ce ne fut qu’avec beaucoup de peine qu’il parvint à lui faire entendre distinctement ce qu’il était, et à lui conter, en peu de mots, son désastre.

Cette fille, naturellement sensible, courut vite en informer sa maîtresse, et la pria d’avoir compassion de ce malheureux. La dame, qui n’était pas moins humaine, se souvenant qu’elle avait la clef de cette porte, par où passait le marquis quand il ne voulait pas être vu : « Va lui ouvrir, lui dit-elle, nous avons de quoi le loger et de quoi lui faire un bon souper. » La fille, louant la bonté d’âme de sa maîtresse, se hâta d’aller lui ouvrir ; et, le voyant presque mort de froid, elle le fait entrer dans le bain encore chaud. Vous jugez bien qu’il ne se le fit pas dire deux fois. Le pauvre diable crut ressusciter en sentant cette douce chaleur. Pendant qu’il reprenait ses esprits et ses forces, la charitable dame lui fit chercher un habit parmi ceux de son mari, mort depuis peu de temps. Cet habit lui allait si bien, qu’on eût dit qu’il avait été fait pour lui. Se voyant ainsi vêtu d’une manière décente, et attendant les ordres de sa bienfaitrice, il commença à bénir Dieu et saint Julien de lui avoir envoyé un secours si inattendu, et de l’avoir conduit dans un si bon logis.

La dame, s’étant un peu reposée, se rendit dans une salle, au rez-de-chaussée, où elle avait fait allumer un grand feu, et demanda des nouvelles du marchand. La domestique répond qu’il est habillé, qu’il est bien fait de sa personne, et qu’il a l’air d’un très-galant homme. « Dis-lui d’entrer, reprit la dame, il se chauffera, et je le ferai souper avec moi, car il y a toute apparence qu’il a besoin de manger. » Renaud paraît, et fait son compliment en homme qui a reçu une certaine éducation ; il tâche d’exprimer sa reconnaissance du mieux qui lui est possible. La beauté de son hôtesse, dont il est frappé, lui rend encore ses bienfaits plus précieux. Il ne se lasse point de la regarder et de l’admirer. La dame, de son côté, trouvant à sa mine et à ses discours qu’il était tel que la servante l’avait dépeint, le combla d’honnêtetés, le fit asseoir devant le feu à côté d’elle, et le pria de lui raconter le malheur qui lui était arrivé. Renaud lui en fit le récit dans le plus grand détail. Elle ne douta point de la vérité de son aventure ; car son valet, en arrivant au Château-Guillaume, avait répandu le bruit que son maître avait été volé et peut-être assassiné par une bande de brigands. Cette nouvelle était parvenue jusqu’à la dame, ce qui fit qu’elle lui donna des nouvelles de son domestique, ajoutant qu’il lui serait facile de le trouver le lendemain matin.