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Le domestique de Renaud, qui était resté derrière, le voyant aux prises avec ces brigands, au lieu de voler à son secours, fut assez poltron ou plutôt assez méchant pour tourner bride sur-le-champ, et galopa jusqu’à ce qu’il fut au Château-Guillaume, où il arriva de nuit. Il alla loger dans une des meilleures auberges, sans se mettre aucunement en peine de son maître.

Cependant Renaud, presque tout nu, exposé au froid et à la neige qui tombait à gros flocons (car c’était dans le cœur de l’hiver), maudissait sa destinée, et, voyant qu’il faisait obscur, ne savait quel parti prendre. Transi de froid et claquant des dents, il se tourne de tous côtés pour voir s’il n’y aurait pas dans les environs quelque asile où il pût passer la nuit. Ce pays portait encore l’empreinte des ravages que la guerre y avait causés ; tout était devenu la proie des flammes ; si bien que Renaud, n’apercevant ni maison ni chaumière, prit le parti, plutôt que de se laisser mourir de froid, de gagner le chemin de Château-Guillaume, ignorant parfaitement que son domestique se fût retiré dans cette forteresse. Il imaginait que, s’il avait le bonheur d’y entrer, le ciel lui enverrait quelque secours. Mais, hélas ! comme il était déjà fort nuit lorsqu’il y arriva, il trouva les portes fermées et les ponts levés. Le voilà désolé, et j’avoue qu’on le serait à moins. Cependant, comme le désespoir ne remédie à rien, il court çà et là pour découvrir un endroit où il puisse au moins se garantir de la neige qui tombait en abondance. Heureusement il aperçut une maison située sur le rempart, laquelle, avançant un peu en dehors, formait au bas un petit couvert. Renaud s’y arrêta sans balancer, dans la résolution d’y attendre le jour. Sous cet avancement était une petite porte autour de laquelle il y avait un peu de paille. Il la ramassa avec soin, et s’en forma un lit du mieux qu’il put. Là, accroupi et soufflant dans ses mains engourdies par le froid, il gémit sur son état et murmure contre saint Julien de ce qu’il récompense si mal la dévote confiance qu’il avait en lui. Ce bon saint, qui ne l’avait point perdu de vue, touché de compassion, ne tarda pas à lui procurer un asile beaucoup meilleur.

Vous saurez que dans cette maison, dont la saillie servait de couvert au pauvre Renaud, logeait une jeune veuve, jolie et charmante autant qu’il soit possible de l’être. C’était la maîtresse du marquis d’Azzo, gouverneur de la forteresse. Il l’aimait à la folie, et l’entretenait dans cette maison, afin d’être à portée de la voir plus à son aise et sans témoins. Le marquis devait précisément aller passer la nuit avec elle. La dame, en conséquence, lui avait fait préparer un bain et un souper magnifique. Tout était disposé pour le recevoir, lorsqu’un de ses gens vint annoncer qu’il ne pouvait s’y rendre : des lettres, qu’un exprès avait apportées, obligeaient le gouverneur de partir sur-le-champ pour Ferrare. La dame, fâchée d’avoir fait inutilement tant de préparatifs, voulut du moins profiter du bain destiné au marquis. Ce bain était tout près de la porte où gisait