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ce scélérat, qui pensait à exécuter son projet ; car, si tu y as manqué, il ne tiendra pas à moi que tu ne sois très-mal logé ce soir. » Puis élevant la voix : « J’ai voyagé, lui dit-il, pour le moins autant que vous ; et quoique je n’aie jamais dit votre oraison, dont on m’a plusieurs fois vanté l’efficacité, il ne m’est cependant jamais arrivé d’être mal logé. Je gagerais même que ce soir je trouverai un meilleur gîte que vous, nonobstant votre oraison. Il est vrai que je suis dans l’usage de réciter, au lieu de cela, le verset Diripuisti, ou l’Intemerata, ou le De profundis, qui, selon ce que me disait ma grand’mère, sont d’une très-grande vertu.

Tout en causant de la sorte, ils continuaient leur route, et les trois coquins ne perdaient point de vue leur projet ; ils n’attendaient que le lieu et le moment favorables pour l’exécuter. Après avoir passé à côté d’une forteresse appelée Château-Guillaume, ils s’arrêtèrent dans un lieu solitaire et couvert, sous prétexte de faire boire leurs chevaux au gué d’une petite rivière, et puis se jettent sur Renaud, lui enlèvent son cheval et ses habits, et le laissent là à pied et en chemise. « Tu verras, lui dirent-ils en s’éloignant, si ton saint Julien te donnera un bon logis cette nuit ; pour le nôtre, il sera bon selon toutes les apparences. » Après ces douces paroles, ils passent la rivière et continuent leur route.