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il les interrogea séparément. L’un disait qu’il y avait huit jours passés, l’autre six, l’autre quatre, et quelques-uns soutenaient que l’affaire était du jour même. Martelin ayant entendu leurs réponses : « Ils ont tous menti, dit-il au juge. Je puis, monseigneur, vous en donner une bonne preuve ; car il n’y a que quelques heures que je suis arrivé dans cette ville, où je n’étais point encore venu ; et plût au ciel que je n’y eusse jamais mis le pied ! À mon arrivée, mon mauvais sort m’a conduit à l’église où est exposé le corps du nouveau saint, et où j’ai été maltraité de la façon dont vous pouvez juger par les marques que je porte. Si vous doutez de ce que j’ai l’honneur de vous dire, les officiers du gouverneur, devant lesquels les nouveaux venus sont obligés de se présenter, son livre et mon hôte même vous en rendront témoignage. Si, après ces informations, vous trouvez que j’ai dit vrai, vous êtes trop équitable pour me faire subir, à l’instance de ces garnements, un supplice que je ne mérite pas. »

Pendant que ceci se passait, Marquis et Stechi, alarmés de la sévérité du juge, et sachant qu’il avait fait donner l’estrapade à Martelin, étaient dans la plus grande inquiétude sur le sort de leur camarade, et ne savaient quel parti prendre pour le tirer de là. « Nous avons fait une bien mauvaise manœuvre, disaient-ils ; nous l’avons tiré de la poêle pour le jeter dans le feu. » Sur cela, ils vont trouver leur hôte, et lui racontent le fait, qui le fit beaucoup rire. Il les mena à un certain messire Alexandre, habitant de Trévise, qui avait beaucoup de crédit sur l’esprit du gouverneur. Après qu’on lui eut également détaillé la mésaventure de Martelin, sans lui en cacher la moindre circonstance, ils le prièrent de prendre pitié de son état, et de vouloir bien s’intéresser pour lui. Messire Alexandre, après avoir ri son soûl de ce récit, alla trouver le gouverneur, et obtint qu’on enverrait chercher Martelin. Ceux qui furent chargés de cette commission le trouvèrent encore devant le juge, à genoux, en chemise, et dans la plus grande consternation, parce que le juge se trouvait sourd et insensible à toutes ses raisons. Ce magistrat, qui haïssait singulièrement les Florentins, voulait absolument le faire pendre. Il fit même des difficultés pour le céder au gouverneur, et il ne s’y décida qu’après y avoir été contraint par des ordres réitérés et formels.

Aussitôt que Martelin eut paru devant son libérateur, il lui raconta, sans nul déguisement, tout ce qu’il avait fait, et lui demanda, pour grâce spéciale, de le laisser partir, disant que jusqu’à ce qu’il se fût rendu à Florence, il croirait toujours avoir la corde au col. Ce seigneur rit longtemps de cette aventure. Il fit présent d’un habit à chacun des trois compagnons, qui partirent sur-le-champ, bien satisfaits d’avoir échappé à un tel danger.