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que j’attendais de toi. Je vais te rendre en une heure tout ce que je t’ai ôté en plusieurs, et réparer par les plus tendres caresses mes mauvais traitements. Regarde donc avec joie cette fille, que tu croyais devoir être mon épouse, comme ta fille et la mienne, et son frère comme notre véritable fils. Ce sont ceux que toi et beaucoup d’autres, avez si longtemps regardés comme les victimes de ma barbarie. Je suis ton mari ; j’aime à te le répéter, et nul mari ne peut recevoir de sa femme autant de satisfaction que j’en reçois de toi. » Il l’embrassa ensuite tendrement, et recueillit les larmes de joie qui coulaient de ses yeux. Ils se levèrent ensuite et allèrent embrasser leurs enfants. Tous les spectateurs furent agréablement surpris d’une révolution si peu attendue.

Les dames, s’étant levées de table avec empressement, conduisirent Griselidis dans un appartement, la dépouillèrent de ses habits, et la revêtirent de ceux d’une grande dame ; elle reparut comme telle dans la salle de compagnie ; car elle n’avait rien perdu de sa dignité et de son éclat sous les vieux haillons qui la couvraient. Elle fit mille caresses à son fils et à sa fille, et, pour célébrer cette réunion, on prolongea les fêtes pendant plusieurs jours.

On vit alors que le marquis avait agi avec sagesse ; mais on avoua qu’il avait employé des moyens trop durs et trop violents pour parvenir à ses fins. On louait, sans restriction, la vertu et le courage de Griselidis.

Le marquis, au comble de la joie, tira Jeannot, le père de sa femme, de son premier état, et lui donna de quoi finir honorablement ses jours. Après avoir richement marié sa fille, il vécut longtemps heureux avec Griselidis, et sut lui faire oublier les malheurs du passé par les charmes du présent.