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quelle qu’elle fût. J’ai trouvé une jeune fille assez près d’ici, qui est de mon goût ; c’est la femme que je me suis choisie. Je dois l’amener sous peu de jours dans ma maison ; préparez-vous à la recevoir honorablement, afin que je sois aussi content de vous que vous le serez de moi. » L’assemblée, à cette nouvelle, fit paraître sa joie, et tous répondirent qu’ils honoreraient la nouvelle marquise comme leur dame et maîtresse.

Dès ce moment le seigneur et les sujets ne songèrent plus qu’aux préparatifs des noces. Le marquis fit inviter plusieurs de ses amis et de ses parents, et quelques gentilshommes d’alentour. Il fit faire sur la taille d’une jeune fille, qui avait à peu près la même que sa future, des robes riches et belles, prépara anneaux, ceinture, couronne, enfin tout ce qui est nécessaire à une jeune mariée.

Le jour pris et indiqué pour les noces, sur les neuf heures du matin, le marquis monta à cheval avec toute sa compagnie. « Messieurs, dit-il, il est temps d’aller chercher l’épousée. » On part, on arrive au village où elle demeurait. Quand on fut près de la maison qu’elle habitait avec son père, on la vit qui revenait de chercher de l’eau et qui se hâtait afin de voir passer la nouvelle épouse du marquis. Dès que celui-ci la vit, il l’appela par son nom, Griselidis, et lui demanda où était son père : « Monseigneur, répondit-elle en rougissant, il est à la maison. » Le marquis descend alors de cheval, entre dans la pauvre chaumière, et trouve le père, qui s’appelait Jeannot. « Je suis venu, lui dit-il, pour épouser ta fille Griselidis : mais je veux, avant tout, qu’elle réponde devant toi à quelques questions que j’ai à lui faire. » Alors il demanda à la jeune fille si, lorsqu’elle serait son épouse, elle s’efforcerait toujours de lui plaire, si elle saurait conserver son sang-froid, quoiqu’il fit ou qu’il dit ; si enfin elle serait toujours obéissante et docile. Un oui fut la réponse de toutes ces demandes. Le marquis la prit alors par la main, la conduisit dehors, en présence de la compagnie, la fit dépouiller nue, et la revêtit ensuite des superbes habillements qu’il avait fait faire, puis il plaça sur ses cheveux épars une brillante couronne. « Messieurs, dit-il aux spectateurs surpris, voilà celle que je veux pour épouse, si elle me veut pour mari. » Et, se tournant vers elle : « Griselidis, me veux-tu pour mari ? — Oui, monseigneur, si telle est votre volonté, » répondit-elle. Il l’épousa ensuite, la conduisit en grande pompe dans son château, où les noces furent faites avec autant de magnificence que s’il eût épousé une fille du roi de France.

La jeune épousée sembla changer de mœurs avec la fortune. Elle était, comme je l’ai déjà dit, belle et bien faite. Elle devint si aimable, si gracieuse, qu’elle paraissait plutôt être la fille de quelque grand seigneur que du pauvre Jeannot. Elle étonnait tous ceux qui l’avaient connue dans son premier état. Elle était d’ailleurs si obéissante à son mari, et avait tant d’attention pour prévenir ses