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possible, et pria le soudan d’en hâter l’exécution. Saladin fit appeler un magicien, dont il avait déjà éprouvé les talents, et lui ordonna d’aviser aux moyens de transporter en une nuit, sur un lit, messire Thorel à Pavie. Le magicien répondit que cela serait, mais qu’il était à propos d’endormir le chevalier. Le prince ayant pourvu à tout, retourna vers son ami, et l’ayant trouvé toujours résolu de mourir s’il n’allait pas à Pavie, et s’il n’y était pas rendu au terme indiqué : « Mon cher Thorel, lui dit-il, si vous aimez tendrement votre femme, et que vous la croyiez remariée, je ne vous engagerai point à en faire autant, car, de toutes les femmes que j’ai jamais vues, sans parler de la beauté, qui est une fleur passagère, c’est celle dont les mœurs, les manières, les vertus, le caractère me semblent mériter plus d’éloges et d’amour. Il eût été bien heureux pour moi, puisque la fortune vous avait envoyé ici, de passer avec vous le reste des jours que le ciel me réserve, en vous faisant partager mes dignités, mes honneurs, mes biens et mon pouvoir. Mais le ciel ne m’a pas jugé digne sans doute d’une si grande satisfaction. Puisqu’il n’y a pas moyen de vous retenir, j’aurais du moins voulu savoir votre dessein beaucoup plus tôt : je vous aurais fait conduire chez vous avec les honneurs que vous méritez. Puisque cela ne se peut, je vous renvoie comme je puis, et non comme je le désirerais. — Sire, répondit Thorel, ce que vous avez fait pour moi me prouve assez votre bienveillance ; vous n’aviez pas besoin d’y ajouter ces nouvelles marques de bonté. Je ne les oublierai de ma vie. Mais, puisqu’il faut que je parte, je vous supplie de faire promptement ce que vous m’avez promis, parce que c’est demain le dernier jour où je dois être attendu. » Saladin promit de le satisfaire.

Le lendemain, le soudan, voulant faire partir son hôte la nuit suivante, fit placer dans une grande salle un lit magnifique, garni de matelas à la mode du pays, couvert de velours et de drap d’or, et orné d’une courte-pointe brodée en perles très-grosses et en diamants fins. Ce lit était un chef-d’œuvre de beauté et de richesse. On plaça dessus deux oreillers analogues à la magnificence du reste. Il ordonna ensuite qu’on vêtît messire Thorel d’une robe et d’un bonnet sarrasin, qui étaient les plus belles choses qu’il fût possible de voir.

Le jour étant déjà fort avancé, il se rendit, avec plusieurs seigneurs, dans l’appartement de son ami, et s’étant assis auprès de lui : « Mon ami Thorel, lui dit-il les larmes aux yeux, l’heure qui doit me séparer de vous approche. Ne pouvant vous accompagner, ni vous faire accompagner à cause de la longueur du chemin et de la manière dont vous l’allez faire, je suis obligé de prendre congé de vous dans cette chambre. Mais je vous prie, par l’amitié qui nous unit, de ne me pas effacer de votre souvenir, et de venir me voir encore une fois, lorsque vous aurez mis ordre à vos affaires, afin de compenser par une nouvelle joie le déplaisir que j’éprouve de votre prompt départ. En attendant,