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Saladin dans ses soupçons. « Dieu m’a donné le temps, dit-il en lui-même, de faire connaître à cet homme combien sa courtoisie m’a été agréable. » Ayant fait aussitôt ranger tous ses habits dans une chambre, il l’y conduisit. « Regarde, chrétien, dit-il, si dans toutes ces robes il y en a que tu n’aies jamais vues. » L’Italien regarde, examine, et voit celles que sa femme avait données autrefois ; mais il n’ose croire le témoignage de ses yeux. « Sire, répondit-il, je n’en connais pas une ; il est vrai qu’il y en a deux qui ressemblent à des robes dont j’ai été vêtu, et que je fis donner à trois marchands qui vinrent chez moi. » Alors Saladin, ne pouvant plus se contenir, l’embrassa tendrement, en lui disant : « Vous êtes messire Thorel d’Istrie, et je suis un des marchands à qui votre femme donna ces robes. Le temps est venu de vous faire connaître ma marchandise, comme je vous dis, en partant, que cela pourrait arriver. » Messire Thorel ressentit dans cet instant de la joie et de la honte : de la joie d’avoir eu un tel hôte, de la honte de l’avoir reçu, à ce qu’il lui semblait, si pauvrement. « Mon cher ami, lui dit Saladin, puisque le ciel vous a envoyé ici, songez que ce n’est plus moi, que c’est vous qui êtes le maître. » Après l’avoir beaucoup caressé, il le fit vêtir d’habits royaux, le conduisit lui-même devant les plus grands seigneurs de sa cour, et, après l’avoir beaucoup loué, il leur commanda de l’honorer comme lui-même, s’ils désiraient ses bonnes grâces. Tous observèrent