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dans le salon, où tout était orné avec la plus grande magnificence. On donna ensuite à laver et on se mit à table. Elle fut servie avec tant de délicatesse, de goût et d’opulence, qu’il n’eût pas été possible de mieux traiter l’Empereur s’il fût venu. Quoique Saladin et ses compagnons fussent de grands seigneurs, accoutumés au luxe, ils furent étonnés de cet appareil, attendu qu’ils savaient fort bien que leur hôte était un simple citoyen, et non pas un prince ou un grand seigneur. Après qu’on eut dîné et un peu conversé, les gentilshommes italiens allèrent se reposer, parce qu’il faisait extrêmement chaud, et messire Thorel resta seul avec ses hôtes. Il entra avec eux dans une chambre particulière. Afin de ne leur cacher rien de ce qu’il avait de plus cher et de plus précieux, il fit appeler son aimable et vertueuse épouse. Elle arriva parée des plus riches habits, accompagnée de deux petits enfants, beaux comme des anges. Elle s’avança devant les étrangers et les salua gracieusement. Ceux-ci se levèrent, la saluèrent respectueusement, la firent asseoir au milieu d’eux et caressèrent beaucoup les enfants. Après plusieurs propos agréables, elle leur demanda qui ils étaient et où ils allaient. Ils firent la même réponse qu’ils avaient faite à son mari. « Je vois, leur répondit-elle en riant, que ce que j’ai eu dessein de faire peut s’exécuter. Je vous prie donc de vouloir bien accepter les petits présents que j’ai à vous offrir. Les femmes, selon leurs petites facultés, donnent de petites choses ; mais ayez plus d’égard à la bonne intention de celle qui donne qu’au présent même. » Ayant fait venir pour chacun des robes très-riches, non comme pour de simples citoyens, mais comme pour de grands seigneurs, des jupes de taffetas et du linge : « Agréez, s’il vous plaît, ces robes, leur dit-elle ; mon mari en a aujourd’hui une semblable. Quant au reste, je sais que c’est peu de chose ; mais, sachant que vous êtes loin de vos femmes, que vous avez fait une longue route, qu’il vous en reste encore une fort longue à faire, et que les marchands aiment la propreté, cela peut vous être de quelque secours. » Les gentilshommes virent bien que messire Thorel ne voulait rien oublier, et qu’il avait obligeamment pourvu à tout. Ils craignaient, vu la richesse des robes, qu’ils ne fussent reconnus, « Ce sont ici, madame, des présents d’un grand prix, répondit l’un d’eux, et qu’on ne devrait pas accepter légèrement, si la manière dont vous les offrez pouvait permettre un refus. »

Messire Thorel, qui les avait quittés, étant de retour, sa femme leur dit adieu et s’en alla. Elle ne manqua pas de faire plusieurs présents aux domestiques. Messire Thorel obtint d’eux, à force de prières, qu’ils passeraient le reste de la journée avec lui. Après s’être un peu reposés, ils se vêtirent de leurs robes nouvelles et allèrent se promener à cheval dans la ville. On servit au retour un souper magnifique, où se trouva fort bonne compagnie. Ensuite ils allèrent se coucher.