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les dans son jardin, et alla ensuite attendre les étrangers sur sa porte. Cependant le valet, causant avec la troupe qui lui avait été recommandée, l’égara dans différents chemins et la conduisit, sans qu’elle s’en aperçût, jusqu’à la maison de son maître. Dès que celui-ci les vit, il courut au-devant d’eux en leur disant : « Messieurs, soyez les très-bien venus. » Saladin, qui avait de l’esprit et de la pénétration, découvrant dans l’instant toute la trame du chevalier : « Monsieur, lui dit-il, s’il était possible de se plaindre de l’honnêteté et de la courtoisie de quelqu’un, nous aurions sujet de nous plaindre de vous, qui nous avez fait un peu allonger notre chemin pour nous donner plus agréablement l’hospitalité, politesse à laquelle nous sommes très-sensibles, mais que nous n’avons pas méritée. » Le chevalier, qui était sage et qui parlait bien, répondit : « Seigneur, les politesses que je vous fais ne sont rien en comparaison de celles que vous méritez, si votre extérieur ne me trompe pas. Vous auriez été fort mal hébergés hors de Pavie ; ainsi, ne regrettez pas de vous être un peu détournés de votre chemin. » Tandis qu’ils parlaient, tous les gens de messire Thorel arrivèrent pour rendre la réception plus magnifique. On fit monter les étrangers dans les appartements qui leur étaient préparés. Ils y prirent, en attendant le souper, des rafraîchissements, et le chevalier les entretenait de propos agréables.

Saladin et ses deux amis savaient le latin. Ils entendaient parfaitement et étaient entendus de même. Leur hôte leur parut le plus gracieux, le plus aimable et le plus éloquent gentilhomme qu’ils eussent encore rencontré. De son côté, messire Thorel avait la plus grande opinion de ces étrangers ; tout ce qui le chagrinait était de ne pouvoir leur donner meilleure compagnie ni meilleur régal ; mais il se proposa de réparer tout le lendemain. Ainsi, après avoir instruit un de ses gens, il le dépêcha vers sa femme, qui était prudente et généreuse. Il conduisit ensuite ses hôtes dans le jardin, où il s’informa poliment de leur état. « Nous sommes, répondit Saladin, des marchands de l’île de Chypre ; nous allons à Paris pour nos affaires. — Plût à Dieu, s’écria messire Thorel, que ce pays-ci produisît des gentilshommes qui ressemblassent aux marchands de Chypre ! » De propos en propos, on arriva à l’heure du souper. Il les laissa se mettre à table comme il leur plut. Le repas, sans être magnifique, fut fort bon, et la délicatesse qui y régnait d’autant plus étonnante, qu’on n’avait pas eu beaucoup de temps pour songer aux apprêts. On ne resta pas longtemps à table. Messire Thorel, craignant que ses hôtes ne fussent fatigués, les conduisit à leurs lits et gagna bientôt le sien.

Le domestique envoyé à Pavie s’acquitta de la commission qui lui avait été donnée. La dame fit aussitôt avertir plusieurs des amis et des vassaux de messire Thorel. Elle prépara un grand festin, auquel furent invités les citoyens de la ville les plus distingués. Elle acheta toute sorte d’étoffes de soie, d’or,