Page:Boccace - Contes de Boccace, trad De Castres, 1869.djvu/605

Cette page n’a pas encore été corrigée

Pourquoi donc les hommes se montrent-ils si empressés à se procurer des parents, des frères, à grossir leur suite d’un grand nombre de domestiques, et qu’ils négligent de se procurer de véritables amis ? On est quelquefois délaissé par ses parents, abandonné par ses serviteurs ; qu’on retrouve un ami, lui seul répare cette perte en entier.


NOUVELLE IX

SALADIN

Lorsque l’empereur Frédéric Ier régnait, si l’on en croit le témoignage de plusieurs historiens, les chrétiens, pour recouvrer la Terre sainte, se disposaient à passer la mer. Saladin, prince rempli de vertus, et alors soudan de Babylone, informé de cette nouvelle, résolut de voir par lui-même les préparatifs des seigneurs chrétiens, afin de pouvoir mieux leur résister. Ayant mis ordre à ses affaires d’Égypte, feignant d’aller en pèlerinage, il partit, sous des habits de marchand, déguisé, n’ayant d’autre suite que deux amis et trois domestiques. Après avoir parcouru plusieurs provinces chrétiennes, il s’avançait dans la Lombardie pour passer ensuite les Alpes. En allant de Milan à Pavie, il fut rencontré sur le soir par un gentilhomme, nommé Thorel d’Istrie, citoyen de Pavie, qui, suivi d’un grand train de domestiques, de chiens et d’oiseaux, allait passer quelques jours dans une maison qu’il avait sur les bords du Tésin. Ce gentilhomme le prit, lui et sa suite, pour des seigneurs étrangers qui voyageaient, et il désira de leur faire politesse. Il en eut bientôt l’occasion. Un domestique de Saladin ayant demandé à l’un des siens combien il y avait encore de là à Pavie, et s’ils pourraient y arriver avant que les portes fussent fermées, messire Thorel prit la parole lui-même : « Monsieur, dit-il à Saladin, vous ne pouvez y arriver à temps, quelque diligence que vous fassiez. — Enseignez-nous donc, s’il vous plaît, où nous pourrons trouver à loger ailleurs, car nous sommes des étrangers qui ne connaissons pas le pays. — Volontiers ; j’avais dans cet instant dessein d’envoyer un de mes gens vers Pavie pour quelque affaire : il vous conduira dans un endroit où vous serez fort bien logés. » Thorel s’approchant ensuite de celui de ses valets qu’il connaissait pour le plus intelligent, lui commanda de les conduire chez lui, pendant qu’il s’en irait par le chemin le plus court.

Dès qu’il fut arrivé, il fit préparer un bon souper, dresser les tab