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dans l’appartement de son ami, et lui dit d’aller se coucher avec sa femme. Titus, honteux et un peu humilié d’une générosité si grande et si soutenue, fit des difficultés pour y aller ; mais son ami, toujours franc, et dont les sentiments étaient à toute épreuve, fit si bien qu’il l’y détermina. Titus ne fut pas plutôt avec elle qu’il se mit à la caresser, et lui demanda tout bas, en lui serrant la main, si elle voulait être sa femme. Sophronie, qui le prenait pour Gisippus, répondit par un oui plein de douceur. « Je brûle aussi d’être votre époux, » reprit Titus ; et, en disant cela, il lui mit au doigt un anneau de grand prix. Après cette cérémonie, qu’il jugea nécessaire, il jouit des droits d’époux et goûta les plaisirs d’un amant heureux.

Sur ces entrefaites, Titus ayant perdu son père, reçut des lettres où on lui mandait de revenir promptement à Borne pour mettre ordre à sa succession. Comme ces lettres étaient pressantes, il résolut de partir sans délai avec Sophronie, ce qui ne pouvait s’exécuter qu’elle ne fût instruite de ce qui s’était passé à son sujet. Gisippus se chargea de ce soin, et lui déclara l’état des choses. La belle n’en pouvait rien croire. Mais Titus, pour lui certifier la vérité de son union avec elle, lui rappela plusieurs particularités secrètes que son mari seul pouvait connaître, ce qui l’étonna beaucoup. Après avoir exhalé sa douleur en plaintes et en reproches sur le tour qui lui avait été joué, elle alla trouver ses parents, à qui elle conta son aventure. Ils furent tout scandalisés et eurent beaucoup de déplaisir de cette tromperie. La famille même de Gisippus fut très-mécontente de sa conduite ; mais les premiers, comme les plus intéressés, firent grand bruit, et disaient hautement que Gisippus méritait une punition exemplaire. Celui-ci faisait tête à l’orage en soutenant que sa conduite n’avait rien de blâmable ; qu’on devait, au contraire, lui savoir gré d’avoir donné à Sophronie un mari qui l’aimait passionnément, et beaucoup plus digne que lui d’être uni à son sort.

Titus, témoin de tous ces débats dont il était l’unique cause, en avait un chagrin extrême et ne cessait d’en témoigner ses regrets à son ami. Mais enfin, connaissant l’esprit des Athéniens, et sachant qu’ils étaient d’humeur à faire grand bruit lorsqu’ils trouvaient peu de gens en état de leur répondre, et, au contraire, à céder aussitôt qu’on leur opposait du courage et de la vigueur, il prit la résolution de mettre fin à leurs propos par une action qui annonçât un cœur romain et l’esprit athénien. Il assembla, dans cette intention, dans un temple, les parents de Sophronie et de Gisippus, et, accompagné de son ami seulement, il leur parla ainsi : « Plusieurs philosophes croient que toutes les actions des hommes ne sont qu’une suite nécessaire des décrets éternels de la Divinité, et que tout ce qui se fait a été ordonné par elle. D’autres bornent cette nécessité aux choses passées ; quelques-uns soutiennent qu’elle s’étend également sur le passé, le présent et l’avenir. Ces opinions réunies ou divisées