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Minuce alla trouver Nicolas de Sienne, le meilleur des poëtes de son temps, et le supplia de lui faire la chanson suivante :

Va dire, Amour, au chevalier que j’aime,

Que d’une ardeur extrême

Je me sens consumer pour lui,

Et que n’osant le lui dire moi-même,

Je me meurs de langueur, de tristesse et d’ennui.

Dieu des amants, je t’en conjure,

Va trouver cet objet charmant,

Et trace-lui bien la peinture

Du mal que je souffre en aimant.

Dis-lui que je languis, que je brûle et l’adore,

Et que, ne voyant pas que je puisse guérir

Du feu secret qui me dévore,

S’il n’a pitié de moi, je vais bientôt mourir.

Déclare-lui, puissant dieu que j’implore,

Ce qu’à toi seul j’ose enfin découvrir.

Jamais, depuis qu’il me captive,

Je n’osai lui faire entrevoir,

Tant je suis timide et craintive,

Que tu m’as mise en son pouvoir ;

Ce qui me rend la mort plus amère et plus dure.

Mais, dans l’excès cruel de l’amoureuse ardeur,

Si, pour soulager ma torture,

Je la faisais connaître à ce charmant vainqueur,

Je doute, hélas ! que tout ce que j’endure

Pût l’attendrir et me gagner son cœur.

Puisque donc je me suis contrainte

Jusqu’aujourd’hui pour lui cacher

Le trait dont mon âme est atteinte,

Et que je ne puis l’arracher,

Amour, de mon tourment donne-lui connaissance ;

Au moins rappel-lui le jour de ce tournois,

Jour signalé par sa vaillance,

Où je ne fus que trop témoin de ses exploits.

Il fut vainqueur au combat de la lance,

Vainqueur de tous et le mien à la fois.

Minuce composa, sur ces paroles, un air tendre et doux, analogue au sujet. Le troisième jour, il se présenta au dîner du roi, qui lui commanda de chanter quelque chose. Il pinça sa guitare avec tant de mollesse, il chanta avec tant de vérité les expressions d’un amour malheureux, que tous les spectateurs, et surtout le roi, immobiles de plaisir et d’étonnement, semblaient être en extase.

Quand il eut fini, le roi lui demanda d’où venait cette chanson, qu’il n’avait jamais entendue. « Sire, répondit-il, il n’y a pas encore trois jours que les paroles