La fête finie, et de retour dans la maison de son père, elle ne s’occupa que de sa passion et de l’objet qui l’avait fait naître. Mais comment combler la distance qui la séparait de son amant ? Dans sa condition, quel espoir pouvait-elle former ? Voilà les réflexions qui la tourmentaient. Cependant elle ne voulait point renoncer au plaisir d’aimer le roi, qui, ignorant ses dispositions favorables, vivait sans songer à elle. Une passion si folle et si constamment entretenue dans un cœur jeune et ardent y produisit une mélancolie profonde, qui dégénéra bientôt en une maladie très-dangereuse. Le père et la mère, désolés, lui donnaient les secours qu’ils jugeaient nécessaires : tous étaient inutiles ; la jeune fille avait résolu de mourir.
Cependant il lui prit un jour fantaisie, lorsque son père lui demanda ce qui pouvait lui faire plaisir, de découvrir enfin, avant sa mort, sa passion à l’objet qui la lui avait inspirée. Il y avait à la cour du roi un musicien, nommé Minuce d’Arezzo, qui était en faveur ; elle pria son père de le faire venir. Celui-ci, qui crut qu’elle voulait l’entendre jouer et chanter, le fit venir sans perdre un moment. Après avoir adressé à Lise quelques paroles gracieuses et consolantes, le musicien pinça doucement sa guitare, chanta quelques chansons ; mais cette musique, loin de consoler la malheureuse Lise, portait une nouvelle tristesse dans son cœur, et ne faisait qu’alimenter le feu qui la dévorait. Elle dit ensuite qu’elle voulait parler seule à Minuce, et chacun se retira. « Minuce, dit-elle, je vous ai choisi pour confident d’un secret qui me concerne, et qu’il ne faut révéler à aucune autre personne qu’à celle que je vous nommerai. Je vous supplie de m’aider en ce qui dépendra de vous. Sachez, mon ami, que le jour où le roi célébra son avènement à la couronne, je le vis ; un trouble inconnu s’éleva soudain dans mon âme éperdue, et l’amour y porta tous ses feux. Je sens tout le ridicule d’une telle passion ; mais, ne pouvant l’éteindre, j’ai résolu de mourir pour me délivrer des tourments que j’endure ; voilà ce qui m’a réduite en l’état où vous me voyez. Mais je mourrais moins désolée si le roi pouvait être instruit de son triomphe. Ne pouvant le faire par moi-même, j’ai jeté les yeux sur vous, qui êtes plus à portée que personne de vous charger de ce message et de le remplir adroitement. Ne me refusez pas cette grâce, je vous en conjure. Ajoutez-y celle de venir m’en annoncer le succès, et je quitterai ensuite sans regret une vie où je n’aperçois que des malheurs. » Elle dit et se tut en pleurant.
Minuce, étonné d’une pareille confidence, hésita quelque temps ; mais réfléchissant que, sans blesser l’honnêteté, il pouvait servir cette fille malheureuse : « Lise, lui dit-il, je vous jure, et croyez-en mes serments, que, loin de vous blâmer, je vous loue d’avoir si bien placé votre tendresse. Comptez sur mes bons offices ; soyez persuadée qu’avant qu’il soit trois jours je vous apporterai des nouvelles consolantes, et, pour ne point perdre de temps, je vous quitte. » Lise lui fit de nouvelles instances et lui souhaita un heureux succès.