Page:Boccace - Contes de Boccace, trad De Castres, 1869.djvu/580

Cette page n’a pas encore été corrigée

admiration. « À Dieu ne plaise, madame, que je sois assez peu loyal et assez ingrat pour souiller l’honneur d’un homme qui a daigné s’attendrir sur mes maux ! Vous pouvez donc demeurer ici, si bon vous semble, tant que vous le jugerez à propos, avec l’assurance d’y être respectée comme ma sœur. Vous en sortirez quand il vous plaira, à condition cependant que vous voudrez bien témoigner à votre mari, dans les termes que vous jugerez convenables, la juste reconnaissance dont je suis pénétré pour son généreux procédé, et que vous l’assurerez que je suis pour la vie son frère et son serviteur. »

À ces mots, la joie rentra dans le cœur de Dianore. « J’avais de la peine à me persuader, lui dit-elle, que vous fussiez assez peu délicat pour profiter de ma situation, et je vois avec grand plaisir que je ne me suis pas trompée dans l’opinion que j’avais de votre générosité. Je ne vous parle point de ma reconnaissance, elle égale votre sacrifice, et je ne doute point que mon mari ne la partage. » Après ces mots, elle prit congé, et courut raconter à son mari tout ce qui s’était passé. Cette aventure fit naître entre lui et le chevalier une amitié étroite dont ils furent liés toute leur vie.

Le nécromant, à qui messire Ansalde voulait donner le salaire convenu, le refusa généreusement, touché de l’exemple qu’il venait d’avoir sous les yeux. « Quoi ! j’aurai vu, dit-il, le mari sacrifier son honneur, et vous votre amour, et moi, je ne pourrais sacrifier quelque peu d’argent ! Gardez-le, vous en savez trop bien faire usage. » Le chevalier, qui ne se souciait pas apparemment d’avoir des obligations au nécromant, insistait toujours pour qu’il prît au moins une partie du prix convenu ; mais il refusa constamment ; et au bout de trois jours, ayant détruit son ouvrage magique, il prit congé et partit. Pour Ansalde, il parvint enfin à éteindre l’amour déshonnête dont il brûlait depuis si longtemps.


NOUVELLE VI

LES PÊCHEUSES

Il n’est personne qui n’ait entendu parler plusieurs fois du roi Charles le Vieux ou Charles Ier, qui, ayant vaincu glorieusement le roi Mainfroi, chassa les Gibelins de Florence et y rétablit les Guelfes. Pendant cette guerre, un chevalier, nommé messire Néri, de la maison des Uberti, obligé d’abandonner la ville avec toute sa famille, en sortit avec tous ses trésors, et ne voulut se mettre