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l’amour. Voulez-vous que je vous dise ce qui m’a déterminé à vous aimer et à suivre ma pointe, quoique vous ayez plusieurs jeunes soupirants ? c’est, madame, que je me suis plusieurs fois trouvé en divers lieux où j’ai vu des dames collationner avec des lupins et des porreaux.[1] Quoique le porreau n’ait rien de bon par lui-même, il est certain que la tête est ce qu’il a de moins mauvais et de moins désagréable au goût. Cependant, par un caprice trop ordinaire à votre sexe, j’ai vu plusieurs de ces mêmes dames empoigner les porreaux par la tête et en savourer la queue qui a pourtant un fort vilain goût. Que savais-je, madame, si en fait d’amants vous n’auriez pas un semblable caprice ? et, dans ce cas, je devais naturellement m’attendre à être préféré à tous les autres. »

Ce discours, auquel on ne s’attendait guère, couvrit la veuve et les autres dames d’un peu de confusion. « Notre témérité, monsieur, dit madame Chisolieri s’adressant au médecin, a reçu le juste châtiment qu’elle méritait ; je vous prie, monsieur, d’être bien persuadé que, loin de vous en vouloir, je suis très-flattée des sentiments que je vous ai inspirés. Je fais cas de votre amitié, comme de celle d’un homme aimable ; ainsi comptez sur ma reconnaissance et sur tout ce qui dépendra de moi pour vous obliger, persuadée que vous n’exigerez rien que d’honnête. »

Maître Albert remercia la veuve de ses offres obligeantes. Puis il se leva, prit congé de la compagnie, et se retira en éclatant de rire. La dame se trouva fort sotte, et se reprocha plus d’une fois d’avoir voulu badiner un homme qu’elle ne connaissait presque point, et qui en savait beaucoup plus qu’elle sur l’article de la raillerie. Si vous êtes sages, mes chères amies, vous profiterez de son imprudence.

  1. Poireaux. (Note du correcteur ebooks libre et gratuit).