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de savoir ce qu’il en résulterait, qu’il résolut de chercher les moyens de la satisfaire à quelque prix que ce fût. Il fit chercher, dans toutes les parties du monde, quelqu’un qu’il pût l’aider et le conseiller. Enfin, il trouva un homme qui s’offrit de lui faire, par magie, le jardin demandé. Il conclut marché avec lui, moyennant une fort grosse somme d’argent, et attendit le mois de janvier avec l’impatience de l’amour.

Il arriva enfin, ce mois si désiré, et la nuit après les fêtes de Noël, lorsque toute la campagne était couverte de neige et de glace, le magicien fit tant, avec le secours de son art, qu’il parut dans un pré voisin de la ville un des plus beaux jardins qu’on ait jamais vus, réunissant les fleurs et la verdure du printemps aux fruits de l’automne. Dès que messire Ansalde eut vu ce prodige, Dieu sait s’il fut comblé de joie. Il fut aussitôt cueillir les plus beaux fruits et les plus belles fleurs, et les envoya secrètement à sa maîtresse, en l’invitant de venir voir le jardin qu’elle avait demandé, pour être convaincue de l’amour dont il brûlait pour elle. On ne manqua pas aussi de lui rappeler la promesse qu’elle avait faite, et qu’elle avait même confirmée par un serment.

Quand la dame vit les fleurs et les fruits que son amant lui avait envoyés, joignant à ces preuves éloquentes ce qu’elle avait déjà entendu raconter des merveilles du jardin, elle commença à se repentir de sa promesse. Cependant la curiosité de voir des choses si nouvelles la fit glisser légèrement sur le repentir, et elle alla, avec plusieurs de ses voisines, voir ce jardin miraculeux. Après l’avoir examiné, loué et admiré, elle s’en retourna chez elle le cœur très-affligé, songeant à quoi ce jardin l’obligeait. Son chagrin était si violent, qu’il ne lui fut pas possible de le déguiser, si bien que son mari s’en aperçut. Il lui en demanda la raison. La honte lui fit renfermer pendant quelque temps son secret au dedans d’elle-même ; mais enfin, pressée d’une manière à ne pouvoir s’en défendre, elle lui conta toute son aventure. D’abord le mari se fâcha, se mit en colère, fit du bruit ; ensuite, considérant l’honnêteté du motif qui avait conduit sa femme, il se calma sagement. « Dianore, il ne convient pas à une femme sage et honnête, lui dit-il, de prêter l’oreille aux discours des amants, et encore moins de faire un marché déshonnête, quel qu’en soit le prix ; car c’est par l’oreille qu’on arrive jusqu’au cœur, et il n’est rien de difficile dont l’amour ne puisse venir à bout. Tu as donc commis deux fautes, la première d’écouter les discours d’un homme amoureux, l’autre de prendre des engagements. Mais, pour la tranquillité, je veux bien te mettre à portée de remplir ta promesse, en t’accordant ce qu’un autre refuserait sans doute ; d’ailleurs, il est à craindre que si messire Ansalde n’était pas satisfait, ce nécromant, qui le sert si bien, ne nous jouât quelque mauvais tour. Va donc trouver ton amant, et fais tous tes efforts pour sauver à la fois ton honneur et ta parole ; si cela n’est pas possible, que le corps cède, mais que la volonté résiste. » La dame pleurait, et disait