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de tous les spectateurs ne les empêcha pas de donner à cette action tous les éloges qu’elle méritait. La dame fut reçue avec une grande joie dans sa maison. Longtemps après, on la regardait encore à Bologne comme une ressuscitée. Messire Gentil vécut depuis dans une intime liaison avec Nicolas, sa femme et toute sa famille.


NOUVELLE V

LE JARDIN ENCHANTÉ

Quoique le Frioul soit un pays froid, il ne laisse pas d’être agréable par les montagnes qui l’environnent, les fleuves qui le traversent, les fontaines qui l’arrosent. À Udine, ville de ce canton, il y eut autrefois une belle et noble dame, qu’on appelait madame Dianore, et qui avait épousé un certain Gilbert, homme extrêmement riche, d’une politesse et d’une affabilité peu communes. Les grâces et les vertus de cette femme la firent aimer d’un seigneur de distinction, appelé messire Ansalde Grandesse, dont on connaissait partout la vaillance et la libéralité. Il employait depuis longtemps auprès de sa maîtresse les moyens d’un amant passionné, mais rien ne lui réussissait. La dame même, ennuyée de ses empressements et de ses importunités, imagina de s’en défaire en lui faisant quelque proposition bizarre et dont l’exécution fût impossible. « Bonne femme, dit-elle un jour à la vieille chargée des messages de messire Ansalde, tu m’as souvent assurée que ton maître m’aime ; tu m’as offert souvent de sa part des présents que j’ai cru devoir refuser, parce qu’il n’a rien à attendre de moi pour cela. La certitude de son amour peut seule m’engager à y répondre, et s’il m’en donne la preuve que j’exige, je suis à lui. — Que désirez-vous, madame ? que voulez-vous qu’il fasse ? répondit la vieille. — Le voici : il faut qu’il me construise ici près, hors de la ville, au mois de janvier, un jardin, rempli de verdure, de fleurs, d’arbres couverts de feuilles, comme au mois de mai ; s’il ne satisfait pas mon désir, qu’il ne m’envoie plus ni toi ni d’autres. S’il m’importunait encore, je découvrirais à mon mari, à mes parents, tout ce que je leur ai caché jusqu’à présent, et je trouverais moyen de m’en débarrasser de la bonne façon. »

Une telle demande parut au chevalier d’une exécution assez difficile. Il vit bien qu’on ne lui la faisait que pour avoir un prétexte honnête de s’en débarrasser ; mais l’offre de sa maîtresse était si séduisante, il était d’ailleurs si curieux